Le Lanceur

Affaire de la permanence parlementaire de J-J. Urvoas : le lanceur d’alerte condamné au civil

Jean-Jacques Urvoas à l'époque où il était ministre de la Justice, en déplacement à Lyon le 27 janvier 2017 © Tim Douet

Jean-Jacques Urvoas à l’époque où il était garde des Sceaux © Tim Douet, 2017.

Poursuivi pour avoir dénoncé les conditions d’acquisition de la permanence parlementaire de l’ancien député breton, Jérôme Abbassène vient d’être condamné, en première instance, à 2 000 euros de dommages et intérêts pour violation de la vie privée.

 

Après deux renvois successifs, alors qu’il avait lui-même utilisé le référé pour poursuivre le lanceur d’alerte Jérôme Abbassène, l’audience au civil voulue par Jean-Jacques Urvoas a enfin eu lieu. Elle s’est tenue le 22 novembre dans une salle exiguë du tribunal de Quimper. Vincent Lauret, l’avocat de l’ancien garde des Sceaux, y a tenté la victimisation de son client, assurant que sa notoriété jouait pour beaucoup dans les “attaques” dont il ferait l’objet. En fait d’attaques, Jérôme Abbassène, jeune professeur de droit à Sciences Po originaire de Quimper, reprochait à Jean-Jacques Urvoas d’avoir acheté sa permanence parlementaire avec de l’argent public.

Rappel des faits. En 2008, alors qu’il vient d’être élu député, Urvoas contracte un prêt bonifié de 2% auprès de l’Assemblée nationale pour un montant de 203.206 euros. Système de prêt privilégié supprimé fin 2009 par le bureau du palais Bourbon. Avec cette somme, qui comprend les frais de notaire, Jean-Jacques Urvoas fait l’acquisition d’une permanence parlementaire place de la Tourbie, au cœur d’un quartier cossu de Quimper. Dans la foulée, l’élu rembourse ce prêt grâce à son indemnité représentative de frais de mandat (IRFM). Autre pratique abolie par l’Assemblée nationale, courant 2015. Aujourd’hui, l’ancien député est propriétaire d’un bien estimé à 210.000 euros et peut donc en jouir à sa guise, comme bon nombre d’autres parlementaires. Ce simple fait constitue, selon Jérôme Abbassène, une forme d’enrichissement personnel, d’où ses nombreuses alertes, notamment auprès de la presse locale. Comme le révélait Le Lanceur mi-novembre (lire ici) Cicero 29, association locale de lutte contre la corruption, a depuis porté l’affaire devant la justice en s’appuyant sur les mêmes motifs.

Mais, à l’audience du 22 novembre, il n’a pratiquement pas été question de cet achat moralement contestable. L’avocat de Jean-Jacques Urvoas est resté sur le seul fait de violation de la vie privée, s’appuyant sur la diffusion d’informations patrimoniales sur les réseaux sociaux. “Le fait de disposer d’éléments du patrimoine et, en l’espèce, l’acte liquidatif de divorce de M. Urvoas et de son épouse, et d’en faire une diffusion sur les réseaux sociaux, c’est inacceptable”, a-t-il dénoncé. Le conseil de l’ancien ministre, par ailleurs bâtonnier de Quimper, s’est également appuyé sur un SMS transmis par Jérôme Abbassène à Christian Gouerou, patron de l’édition locale d’Ouest-France. Ce dernier avait transféré à Jean-Jacques Urvoas le message en l’état, coordonnées du lanceur d’alerte comprises. Une pratique unanimement dénoncée par les syndicats de journalistes (notamment ici), comme l’a rappelé Nicolas Gardères, l’avocat d’Abbassène.

“M. Gouerou a violé le secret professionnel, a violé les règles relatives à la protection de ses sources et M. Urvoas est coupable de recel à cet égard”, a-t-il asséné, avant de rappeler les conditions dans lesquelles son client s’était procuré les fameux documents relatifs au patrimoine de Jean-Jacques Urvoas : “On remet en cause l’obtention des documents, mais il y a des accès qui sont extrêmement faciles pour les citoyens, accès qui demandent un peu de rigueur et on peut alors obtenir de la part de la direction générale des finances publiques et, plus précisément, du service de la publicité foncière, on peut obtenir des documents sur n’importe quel citoyen. Ça n’est pas lié au statut d’élu de M. Urvoas, ça n’a rien à voir avec les déclarations de patrimoine déposées auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.”

L’avocat de Jean-Jacques Urvoas réclamait 20.000 euros de dommages et intérêts au titre de la violation de sa vie privée. Jérôme Abbassène a été condamné à 2.000 euros de dommages et intérêts, ainsi qu’à 1.000 euros de frais de procédure. Son avocat a indiqué au Lanceur qu’il allait immédiatement faire appel de cette décision.

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