Une semaine après la décision de la justice suédoise de ne pas extrader Julian Assange, son avocat, Juan Branco, nous explique où en est l’affaire : une “page qui se tourne”, mais le combat n’est pas terminé.
Un tribunal suédois a décidé de ne pas tenir compte des réquisitions du parquet concernant la demande d’arrestation de Julian Assange, actuellement en détention à Londres. Selon son avocat, Juan Branco, “la page Suède est tournée”. “Ça a permis de faire tomber le masque des réelles motivations des États-Unis pour extrader Assange, dit-il. On a dû se battre pendant des années pour expliquer que ce n’était pas qu’une question d’affaires suédoises et de résidence surveillée qui étaient les seuls motifs de ces poursuites. En fait, c’était les États-Unis et les révélations Wikileaks. Il a fallu d’abord détruire sa réputation pour le poursuivre après.” Le lanceur d’alerte faisait l’objet d’une demande d’extradition de la Suède pour l’interroger dans une affaire de viol et d’agression sexuelle. Les juges ont considéré que les enquêteurs suédois pouvaient l’interroger à Londres dans le cadre du mécanisme de coopération européenne lors d’enquêtes pénales. Il n’y aura donc pas de mandat d’arrêt européen contre le lanceur d’alerte, mais l’enquête pourra continuer. Les États-Unis, quant à eux, espèrent toujours l’extrader.
Que reproche-t-on à Julian Assange ?
En 2010, Julian Assange a été placé en détention provisoire en Angleterre en attendant d’être extradé en Suède. Il lui est reproché d’avoir engagé un rapport sexuel non protégé avec une jeune femme pendant que celle-ci dormait, alors qu’elle l’avait auparavant refusé. Julian Assange a été relâché, la même année, sous contrôle judiciaire, tout en ayant nié les faits. Après sa libération, il s’est réfugié en 2012 à l’ambassade équatorienne, car il craignait d’être extradé vers la Suède ou les États-Unis. La plainte pour viol fut classée sans suite en 2017, faute d’avoir pu l’entendre. Mais, le 11 avril dernier, Julian Assange a été arrêté à l’ambassade d’Équateur à Londres et incarcéré pour non-respect de son contrôle judiciaire. Une semaine plus tard, la procureure chargée de l’instruction du dossier viol, Eva-Marie Persson, a envoyé une demande d’extradition et l’enquête a été relancée, jusqu’à cette décision du tribunal suédois. Les États-Unis demandent l’extradition de Julian Assange pour plusieurs chefs d’inculpation, dont la violation de l’Espionnage Act en diffusant les secrets militaires volés par l’ancienne analyste de l’armée américaine Chelsea Manning en 2010. On lui reproche également d’avoir encouragé Manning à les lui communiquer et de les avoir publiés sur Wikileaks. En particulier les noms des informateurs de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan, ainsi que ceux des diplomates dans le monde entier. Il lui est reproché d’avoir publié la liste des personnes les plus recherchées, 490 000 rapports d’activité importants liés à la guerre en Irak et en Afghanistan, 800 dossiers d’évaluation des détenus de la baie de Guantanamo et 250 000 câbles diplomatiques des États-Unis. Il est aussi accusé de complot en vue de commettre une intrusion informatique, car il s’est introduit dans les ordinateurs du ministère de la Défense.
S’il est reconnu coupable, Julian Assange encourt une peine de dix ans de prison pour chaque chef d’accusation et cinq ans pour “complot en vue de commettre une intrusion dans un ordinateur”. Avec ces dix-sept charges, il risque cent soixante-dix ans de prison. Me Branco estime qu’il s’agit de “criminaliser Assange sur son activité de journaliste”. “Nous n’aurions probablement pas gain de cause à la Cour suprême, dit l’avocat, même en se plaçant derrière le Premier amendement. Trump y détient la majorité. La justice veut l’abattre. Il y a eu des appels à l’assassinat d’Assange. Mike Pompeo veut en faire qu’une bouchée.” Pour échapper à l’extradition, il faudra que l’Australien prouve qu’il risque d’être condamné à mort aux États-Unis ou de subir des conditions de détention dignes de la torture. Chelsea Manning avait été condamnée à trente-cinq ans de prison, placée un an à l’isolement ; libérée par Obama avant la fin de son mandat, elle a de nouveau été écrouée le 16 mai dernier pour avoir refusé de témoigner sur Wikileaks devant un tribunal.
Pas tiré d’affaire
Cette décision du tribunal suédois est une mauvaise nouvelle pour l’accusation, qui espérait que Julian Assange soit extradé avant la prescription des faits, en août 2020. L’accusation peut faire appel en se basant sur une partie de la décision du tribunal, qui juge fondés “les soupçons visant Julian Assange”. Néanmoins, cette décision est, pour l’avocat pénaliste David Koubbi, “une preuve de l’indépendance de la justice suédoise”. Selon Me William Julié, spécialiste entre autres de l’extradition, “si les Suédois ont préféré ne pas faire de mandat d’arrêt européen c’est pour éviter de se mettre en porte à faux avec les États-Unis. Ils savent où est Assange et peuvent continuer l’enquête. Cela arrange les États-Unis, ça aurait compliqué leur tâche de pouvoir obtenir Assange”.
Son avocat, Juan Branco, estime qu’“on a trop spéculé sur les relations États-Unis–Suède”. “C’est seulement pour les révélations Wikileaks que les États-Unis veulent l’extrader, maintient-il, et on se battra jusqu’au bout pour empêcher cela.”
Si Julian Assange n’est pas, à l’heure actuelle, extradé en Suède, rien ne garantit qu’il ne le sera pas un jour. Si l’enquête avance, le tribunal pourra potentiellement revenir sur sa décision s’il est de nouveau saisi. Londres devra faire un arbitrage entre les États-Unis et la Suède, qui veulent tous deux récupérer l’Australien. Pour Jean-Philippe Foegle, juriste à la Maison des lanceurs d’alerte, “il est fort probable que les autorités anglaises le laissent finir ses cinquante semaines de détention avant de décider de l’extrader aux États-Unis. De plus, s’il est extradé puis jugé en Suède, rien n’empêche qu’il soit ré-extradé juste après. Cela relance le débat sur les garanties d’un procès équitable aux États-Unis”.
Juan Branco estime que les conditions de détention de son client à Londres ne sont pas normales : “Il a droit à deux parloirs par mois. Il a un accès très limité à ce qui se passe. Il est difficile pour lui de savoir où en est le monde extérieur. Il est incarcéré dans des conditions de détention dignes des terroristes. Il est enfermé vingt-trois heures sur vingt-quatre. Le niveau de stress est énorme, mais il tient admirablement. Le représentant sur les questions de torture de l’Onu a déclaré qu’il faisait état d’une détention digne de torture. Ce n’est pas rien.”
Pour Me Koubbi, “la vraie question est de savoir si un pays européen va livrer un homme à la justice américaine, où les chefs d’inculpation sont décriés par les associations des droits de l’homme comme portant atteinte à la liberté d’expression”. Le ministre de l’Intérieur britannique a signé le 12 juin une ordonnance d’extradition, selon le Guardian. Le tribunal londonien doit se prononcer ce vendredi 14 juin.
Mise à jour à 14h : le tribunal anglais a déclaré qu’il statuerait sur l’extradition de Julian Assange vers les États-Unis en février 2020.