La nouvelle émission de Cash Investigation diffusée le mardi 23 septembre a en ligne de mire deux marques très connues des français : l’enseigne Lidl et Free, l’entreprise crée par Xavier Niel. Dans les deux cas, le documentaire de Cash Investigation montre l’envers du décor. Si le distributeur Lidl a anticipé ce genre d’investigation par le biais de formations internes (voir notre document inédit), Free continue à nier, alors que l’entreprise a le projet de délocaliser ces centres d’appel dans des pays francophones, contrairement aux affirmations de Xavier Niel, le fondateur.
Depuis quelques jours, l’ambiance chez Mobipel, l’une des filiales d’Iliade (le groupe maison-mère de Free) est électrique, depuis que les salariés et la direction ont vu sur les réseaux sociaux tourner les teasers de la nouvelle émission de Cash Investigation, présentée et animée par la pugnace Elise Lucet, qui entame sa sixième saison. D’autant que la thématique tombe parfaitement à propos : souffrance au travail et licenciements, soit une enquête sur le « monde merveilleux du travail » qui révèle l’envers du décor au sein de deux entreprises emblématiques, Lidl France et Free.
Diffusé à 20H55, le documentaire intitulé « Travail, ton univers impitoyable », et signé Sophie Legall, pointe en pleine réforme du Code du travail des méthodes de management aux conséquences parfois très lourdes, sans se départir de son style décapant.
Et pourquoi chez Mobipel, fait-on grise mine ? Tout simplement, parce que cette filiale gère les centres d’appel de Free, le nerf de la guerre en matière de téléphonie mobile et d’accès à Internet. Les quatre opérateurs qui se livrent une guerre sans merci sur les prix, savent parfaitement que s’ils veulent augmenter leurs marges, c’est en abaissant la masse salariale, donc en délocalisant les centres d’appel dans les pays francophones. Ce que Free s’est toujours officiellement refusée à faire. Mais Cash va divulguer ce soir que l’entreprise a eu le projet de sous-traiter les appels vers Madagascar et que des contacts avec des entreprises locales ont été pris et des acomptes versés.
L’un des centres d’appel de Mobipel se situe à Colombes (Hauts-de-Seine). En février dernier, Le Lanceur vous avait parlé des déboires d’un jeune syndicaliste de Sud, Anousome Um, que la direction de Mobipel voulait licencier. L’inspection du travail s’est opposée à son licenciement. Mobipel a fait appel de la décision et comme le prévoit la loi, c’est le ministre du Travail qui doit désormais statuer sur le sort d’Anousome Um. La décision du ministre est pendante.
Le centre d’appel de Colombes ne recrute plus
Dans Cash, ce syndicaliste raconte les conditions de travail chez Mobipel et notamment le système complexe pour obtenir un taux de satisfaction moyen des clients, en jouant sur les effectifs de la masse salariale. Au Lanceur, Anousome Um avait raconté la stratégie de son entreprise : « Free ne cesse d’augmenter le nombre de ses abonnés, entre la téléphonie mobile et Internet. Or, la qualité du service tend à diminuer, parce que Free, veut, soit diminuer les effectifs, soit fermer des centres d’appel, qui, disent-ils leur coutent trop cher. Il y aurait selon eux, trop de personnels. Le site le plus sensible, le « déviant », est celui de Colombes, dans le 92. Le mien. On nous l’a fait comprendre à plusieurs reprises. Il n’est pas impossible que Free délocalise des centres d’appel… Les dirigeants insistent énormément sur le fait que Free ne fait pas comme les autres opérateurs téléphoniques, qui ont tous délocalisé dans des pays francophones. Mais plein d’indices montrent le contraire. »
Anousome Um a demandé à plusieurs reprises des précisions sur les effectifs au sein de Mobipel, comme l’atteste le document que nous publions, un extrait du compte-rendu de la réunion des délégués du Personnel de la société Mobipel du 23 novembre 2016. « Je demandais toujours les chiffres des effectifs en comité d’entreprise, nous racontait Anousome Um, en février dernier. Chiffres difficiles à obtenir. Or, à force d’insister, je m’aperçois, que les effectifs de Colombes sont passés de 600/650 employés en octobre 2014, à 380 aujourd’hui, début 2017. Or, lorsque l’entreprise est au-dessus de la barre des 500 employés, elle a des obligations, comme celles de mettre en place un délégué syndical supplémentaire pour l’encadrement. » Anousome Um rajoute qu’il y a eu entre janvier et août 2017, 2 recrutements pour 88 départs. En terme d’effectifs, le site de Colombes est tombé sous la barre des 350 salariés et se situe dans les 300.
Un projet très avancé à Madagascar
Lors de cette réunion de novembre 2016, les délégués du personnel demandent pourquoi aucun recrutement n’est effectué sur Colombes, alors que les autres sites embauchent. Voici la réponse de la direction : « Malheureusement notre centre pose des problèmes notamment sur la performance, le turn-over, l’absentéisme, retard sur les objectifs malgré tous les investissements : rénovation du site, formation, accompagnement… Les élus ont été informés en 2015 par Madame Angélique Gérard qu’il y avait un travail de fond sur le centre à réaliser. Il n’est pas question de recruter tant que les résultats ne seront pas satisfaisants sur ce centre. Malgré tout, il y a eu quelques sessions de recrutement (juillet et sept 2016) => remplacement des départs et focus sur l’accompagnement. Ce sera le retour aux bons résultats des indicateurs qui rassurera et convaincra la DIRECTION de reprendre les recrutements sur ce centre. Il y a du recrutement partout ailleurs et les effectifs au global du dispositif sont en croissance et à contrario la DIRECTION a du mal à remplir les sessions chez MOBIPEL… Les articles en presse y sont également pour beaucoup. Les candidats ne se précipitent pas pour postuler lorsqu’ils connaissent la réputation en presse de MOBIPEL. C’est dommage vu la capacité d’accueil importante chez MOBIPEL pourtant. »
Là, où Cash frappe fort, c’est que l’enquête de Sophie Legall montrerait que Free a un projet très avancé de délocalisation de centre d’appel à Madagascar. Cette île est désormais le nouvel eldorado des centres d’appel et des opérateurs. Les salaires y sont modestes et les gens parlent français. Dès l’année dernière, des informations circulaient au sein de Mobipel, selon lesquelles il y avait des projets en ce sens. Des contacts ont été pris par la direction générale de Mobipel avec des entreprises à Madagascar. Et des acomptes ont même été versés. Cash va raconter cela. Cash est aussi allé voir du côté des centres d’appel « modèles » de Free installés au Maroc. En fait, déjà en 2012, des mouvements sociaux dans l’un des centres d’appel, Total Call, ont ébranlé les certitudes de Free. Les conditions de travail s’étaient dégradées, le dialogue avec la direction était difficile : des représentants syndicaux menacés d’être licenciés ; des licenciements abusifs ; non-respect des jours fériés chômés (entre 10 et 20 jours fériés non reconnus et attribués).
Il semble également qu’il y ait une délocalisation de la délocalisation et que les entreprises « modèles » de Free au Maroc délocalisent dans des pays où la main d’œuvre est encore plus basse (200 euros au Maroc par mois, contre 100 euros dans d’autres pays francophones).
Comment Lidl forme ses salariés à recevoir les médias
Comportement face aux médias by Le Lanceur on Scribd
Deuxième marque dans le collimateur des enquêteurs de Cash : la fameuse enseigne Lidl. L’émission révèle les méthodes redoutables pour maximiser la productivité des 30 000 salariés : la polyvalence imposée aux caissières, afin d’éviter les temps morts ; les conditions de travail dantesques, qui imposent par exemple à des préparateurs de commandes de soulever parfois jusqu’à 8 tonnes de produits par jour…Ce qui a des conséquences bien concrètes sur le corps et la santé des employés.
Mais Lidl a de la ressource. L’enseigne fait suivre à ses employés et ses responsables de magasins des modules de formation intitulés « Comportements face aux médias », que nous nous sommes procurés. Le document date d’avril 2016 ? Premier message à faire passer. Lidl est une entreprise super sympa ! « Notre société se présente comme une société ouverte et transparente et a pour objectif d’entretenir des relations saines et durables avec les représentants des médias. » Petit rappel pas inutile de ce module de formation : « Lidl, premier annonceur de la grande distribution et 4ème annonceur publicitaire en France ! »
Puis, la formation explique quel est le comportement à adopter lorsqu’une équipe de tournage débarque dans un magasin Lidl, sans crier gare. Restez courtois mais ferme : demander l’autorisation de tournage, faire signer une fiche contact. Si vraiment ça tourne mal, Lidl conseille de parler de la vie privée : « en cas de conflit aggravé, faire référence au droit à la propriété privée. Renouveler poliment mais fermement l’invitation à stopper tout tournage/ prise de vue et à quitter le magasin. »
Le module de formation conseille aussi l’empathie : comprendre que les médias ne font que leur travail, comme les salariés de Lidl. « Restez toujours poli et agréable », conclut le manuel.
Et il semble visiblement que la direction de Lidl applique, avec constance, les recommandations du manuel, dans l’émission de Cash, tandis que Free demeure sur certains points dans le déni.