Le Lanceur

Céline Couteau : “Le charbon n’a rien à faire dans le domaine cosmétique”

Céline Couteau, maître de conférences à la faculté de pharmacie de Nantes, s’étonne que l’industrie cosmétique et certaines blogueuses proposent des masques pour le visage qui contiennent du charbon, un ingrédient qui peut s’avérer dangereux. Entretien.

 

Le Lanceur : Pourquoi ne faut-il pas s’appliquer du charbon sur la peau ?

Céline Couteau : Comme son nom l’indique, le charbon est obtenu par carbonisation, donc le fait de faire brûler un végétal ou des os, selon les cas. Un certain nombre de sociétés cosmétiques vont mettre en avant tel ou tel arbre que l’on va faire brûler pour obtenir un charbon particulier, qui, dans tous les cas, contient des impuretés qui peuvent être de l’ordre de 1, 2 ou 3% de sa composition. Le degré de pureté du charbon est extrêmement variable et les impuretés sont un mélange de molécules extrêmement complexes. Pour ne pas prendre de risques, il est nécessaire d’avoir la signature de toutes ces molécules, de façon très précise. Nous craignons que les sociétés qui proposent des masques au charbon n’aient pas la rigueur d’aller regarder très précisément ces impuretés.

Quel est l’intérêt des marques d’utiliser du charbon dans des masques ?

Pour moi cela reste énigmatique, donc c’est une question à leur poser. Il est de notoriété publique que les usines qui fonctionnent au charbon sont extrêmement polluantes, donc mettre un produit synonyme de pollution dans l’esprit populaire dans des cosmétiques dits “détoxifiants” ou autres reste pour moi un grand mystère. Le marketing insiste en tout cas sur le caractère naturel du charbon et son obtention à partir de bois végétaux. Il suffit aussi parfois qu’une société ait commercialisé un masque au charbon pour qu’un certain nombre d’autres fassent ensuite la même chose. Si je ne vois pas forcément la logique, je ne me vois pas me tartiner le visage avec un produit qui contient du charbon. Surtout que le charbon est utilisé par l’industrie comme traceur pour vérifier l’efficacité d’un produit nettoyant. Les protocoles consistent à souiller la peau avec du charbon pour démontrer les propriétés “détoxifiantes” d’un produit antipollution. C’est antinomique : la peau est polluée par du charbon pour démontrer ensuite qu’un cosmétique antipollution va l’éliminer. D’un côté, l’industrie va utiliser le charbon pour polluer la peau et tester des produits “anti-pollution” et de l’autre elle propose des masques au charbon pour “assainir” la peau. Pour moi, il y a un problème dans l’équation, il faut revoir la copie. C’est pour cela qu’on a voulu alerter sur cet ingrédient, car pour moi il n’a rien à faire dans le domaine cosmétique.

Vous évoquez aussi dans votre article les tutoriels sur Internet pour faire soi-même ses cosmétiques, peuvent-ils être dangereux selon vous ?

Nous sommes farouchement opposés à ces tutoriels : en particulier celui cité dans l’article ci-dessous, où une personne utilise de la colle. Ces tutoriels sont très populaires et devraient obligatoirement être encadrés. Sur notre spécialité, à savoir les produits solaires, il y a des tutoriels hallucinants. Les internautes s’imaginent que dans ces petits mélanges, au moins ils savent ce qui est utilisé, mais ils utilisent des matières premières dont ils ne peuvent ne pas forcément connaître les effets et laissent parfois tomber les gouttes dans leur produit de façon aléatoire. Une confiance s’établit avec une personne qui n’a ni les diplômes ni la qualification nécessaires alors que des sociétés qui ont pignon sur rue sont mises en doute. Il est vrai que les sociétés de cosmétiques font des choses parfois étonnantes, mais un particulier qui n’y connaît rien peut faire des choses dangereuses. C’est comme si moi, enseignante en pharmacie, je faisais un tutoriel de garagiste. Si vous vous mettez à parler d’un sujet sur lequel vous ne connaissez rien, obligatoirement vous allez faire des impairs. Madame-tout-le-monde va se faire avoir par un certain nombre d’éléments et va donner des conseils alors qu’elle n’a pas la qualification pour. C’est typique dans les produits de protection solaire : il n’y en a pas deux qui donnent la même recette. Certaines obtiennent un SPF (sun protection factor) 30 avec 5% d’oxyde de zinc, d’autres en mettent 15%, sans jamais spécifier d’ailleurs très précisément quel est l’ingrédient alors que, dans l’oxyde de zinc, de nombreuses spécialités existent. Elles encouragent parfois à faire des produits avec des notions qui sont totalement fausses.

 

Ci-dessous, Le Lanceur publie l’article de Céline Couteau, paru sur le site The Conversation.


Les masques au charbon sur la peau, quelle drôle d’idée !

Les masques sont des cosmétiques utilisés de tout temps pour améliorer la qualité du teint. On assiste, aujourd’hui, à une mode curieuse qui consiste à incorporer du charbon dans ceux-ci.

Le charbon, un principe actif ancien

Par calcination de n’importe quel bois, il est possible d’obtenir du charbon. Pour un usage médicinal, on préférera les charbons obtenus à partir de bois blancs tels que le saule, le bouleau ou le peuplier. Dans ce cadre, le charbon est traditionnellement utilisé à raison de 1 à 20 grammes/jour, pour ses propriétés absorbantes, mises à profit dans les épisodes diarrhéiques.

Le charbon activé ou charbon de bois activé possède une monographie (Carbo activatus) à la Pharmacopée française Xe édition, ainsi qu’à la Pharmacopée européenne 9e édition. Il est préparé par calcination à très haute température (800 à 1000°C). Il se présente sous la forme d’une poudre noire, inodore et insipide, capable d’absorber 15 à 20% d’eau.

Masques yin et yang

En 1986, la chanteuse Jeanne Mas est à la recherche d’une esthéticienne qui voudrait bien prendre soin de sa peau dans sa célèbre rengaine En rouge et noir (“Et j’aurais soigné ma peau / Blessée par les froids d’hiver”) et la maquiller (“J’aurais mis de la couleur / Sur mes joues et sur mes lèvres / Je serais devenue jolie”). Bien des années plus tard, une marque qui fleure bon l’apothicaire remet la bobine à l’envers et décide de voir la vie en deux couleurs. Les T’ai Chi Masques (Herborist) se présentent sous la forme de deux masques de couleur, l’un noir pour nettoyer, l’autre blanc pour apaiser.

Empruntant au vocabulaire chinois le nom d’une gymnastique permettant d’accéder à une grande maîtrise de son corps, ces masques se proposent de purifier la peau selon un rituel qui se pratique, lui aussi, en respectant une gestuelle bien précise. Dans une société où le 2 en 1 est privilégié, du fait du gain de temps occasionné, Herborist joue le contraste en optant délibérément pour des cosmétiques qui prennent leur temps. Application, massage, retrait, rinçage sont pratiqués avec chaque masque successivement. Le yin (symbolisé par le masque noir) et le yang (représenté par le masque blanc) contribuent à exalter le teint.

Le charbon des marques

Il paraissait audacieux d’associer la notion de nettoyage ou de purification à l’utilisation d’une matière première de couleur noire et de ce d’autant plus que cette même matière première, en l’occurrence le charbon, est plus facilement assimilée à un élément polluant qu’à un actif cosmétique nettoyant.

Le masque Detox Argile Pure (L’Oréal Paris) est un masque qui comporte trois argiles (kaolin, montmorillonite, ghassoul) et du charbon. Garnier propose un 3 en 1, anti-points noirs incrustés qui s’utilise comme un produit nettoyant, exfoliant ou comme un masque en fonction du temps de contact. City Block Purifying, le gel nettoyant purifiant au charbon (Clinique) joue sur plusieurs tableaux. C’est un masque au charbon, ingrédient en vogue. Il est présenté comme détoxifiant (donc censé lutter contre les méfaits de la pollution sur la peau). La marque Akane propose, elle, un masque noir lacté qui “purifie, désincruste et matifie”. Blanc et noir, lait et charbon sont unis dans une même formule. Dans le cas du Mask Cream Charcoal, un masque peel-off, il est précisé que le charbon est obtenu à partir du bambou.

De la même façon, The Body Shop commercialise un masque Purifiant au Charbon de Bois d’Himalaya Spa of The World. La précision est d’importance d’un point de vue marketing : le charbon en question a été obtenu par combustion de bois provenant d’une région qui fait rêver et qui semble à l’abri de toute pollution. Le masque Soin Purifiant Glamglow Supermud est quant à lui présenté par la chaîne Sephora comme un produit high-tech. L’analyse des ingrédients qui entrent dans sa composition (acides de fruits, charbon, argile et eucalyptol) vient contredire cette assertion alléchante. Il est à noter que les emballages de ces produits sont aussi noirs que les contenus… Espérons qu’ils ne sont pas l’image de l’âme de ceux qui les mettent sur le marché !

Le charbon des blogueuses

Certaines blogueuses ont décidé de réaliser leur propre masque à base de colle (pour enfants donc, selon leurs dires, sans toxicité…) et de charbon. Angie, la débrouillarde, a testé ce type de masque et en est très satisfaite. Son slogan, “Se faire belle sans exploser son PEL”, témoigne de la philosophie de cette blogueuse. Le but est de réaliser des produits efficaces à petit prix. Mais très franchement, à une époque où la peur des ingrédients cosmétiques paralyse (à tort) un certain nombre de consommateurs, il n’est pas raisonnable de s’appliquer sur la peau de telles préparations !

Alors, que faut-il penser du charbon ? D’un point de vue chimique, c’est un ingrédient complexe composé majoritairement de carbone (97 à 99 %). On le retrouve sous différents noms : CI 77267 ou noir animal. Le reste est constitué de traces de composés aromatiques, d’hydrogène, d’oxygène, d’azote et de soufre chimiquement liés au carbone. Et c’est bien ce reste (les impuretés) qui pose un problème car, selon l’origine et le procédé d’obtention de cet ingrédient, il sera extrêmement variable et parfois assez peu compatible avec une application cutanée. En somme, le charbon pour les barbecues de l’été : oui (encore que…) ; le charbon à appliquer sur la peau : non. Décidément, noir c’est noir…

 

Céline Couteau est maître de conférences en pharmacie industrielle et cosmétologie à l’Université de Nantes.

La version originale de cet article a été publiée sur le site The Conversation

 

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