Le Lanceur

Ces collectivités où l’on travaille moins de 35h

Laurent Wauquiez en meeting lors de la campagne des régionales, le 9 décembre 2015 © Elise Anne

Au Puy-en-Velay, les fonctionnaires travaillent 12 jours de moins que la durée annuelle légale du travail. Surprenant quand on sait que Laurent Wauquiez, maire de la ville de 2008 à janvier dernier, est favorable à une semaine de 42 à 45 heures. En huit ans, il n’a pas réussi à appliquer le Code du travail. Mais le reste de la France n’est pas épargné : les fonctionnaires des villes de Paris, Lyon, Marseille, Vénissieux (Rhône), Nanterre, Drancy, du département du Tarn ou encore de la région Languedoc-Roussillon sont en dehors de la légalité… depuis 2001.

 

Quinze ans après le vote de la loi Aubry sur les 35 heures, 1 550 collectivités locales en France ne sont toujours pas en conformité avec la loi et l’on y travaille 32,33 ou 34 heures par semaine. Une gabegie que pointe la Cour des comptes. La loi est pourtant claire et a été rappelée par une décision du Conseil d’État en 2002 : “La durée annuelle du travail de 1 600 heures dans la fonction publique territoriale constitue un plancher*.” C’est-à-dire une limite minimum qu’il ne faut pas franchir. Seulement, nombre de collectivités avaient accordé des jours de congé en plus à leurs agents dans les années 1980-1990. Des accords passés avec les organisations syndicales considérés comme des avantages acquis et qui n’ont pas été renégociés. Pourtant, les juges financiers estiment que ces jours de congé supplémentaires sont contraires à la loi.

Les Sages de la rue Cambon recommandent d’aligner la durée effective du travail des fonctionnaires sur la durée légale. Dans un rapport publié en juillet 2015 sur “La masse salariale de l’État”, ils estiment que cette simple mesure permettrait d’économiser 700 millions d’euros et 27 000 emplois dans le public (État, hospitalier et collectivités). D’après les magistrats, plusieurs catégories de fonctionnaires bénéficient d’une organisation de travail différente (tout en étant payés 35 heures) : “Les agents soumis à des obligations réglementaires de service (comme les enseignants), ou ceux soumis à une pénibilité ou des horaires décalés (le personnel travaillant dans les abattoirs ou les surveillants de l’administration pénitentiaire)”. Ils soulignent également que “seuls 500 000 équivalents temps plein sur un total de 1,9 million dans les ministères” travaillent effectivement 35 heures.

1 594 heures dans le public contre 1 684 dans le privé

D’après les calculs de la Cour, “le temps de travail annuel moyen, à temps complet, serait de 1 594 heures dans le secteur public, contre 1 684 heures dans le secteur privé, avec un temps de travail hebdomadaire plus important de 0,8 heure dans le privé et 7 jours de congé et de RTT en moins. La durée annuelle du travail serait très proche de 1 607 heures dans la fonction publique d’État et dans la fonction publique hospitalière mais nettement inférieure dans la fonction publique territoriale (1 567 heures)”.

Prenons l’exemple de la ville du Puy-en-Velay, dirigée depuis 2008 par Laurent Wauquiez (LR), qui a démissionné fin janvier de son mandat pour laisser la place à Michel Chapuis, son adjoint aux finances. Les agents de la ville, mais également ceux de l’agglomération et les fonctionnaires des maisons de retraite, travaillent 12 jours de moins par an que la durée légale, soit 1 533 heures au lieu de 1 607. Une pratique “irrégulière” et “coûteuse pour les finances communales”, selon les magistrats de la chambre régionale des comptes. Ces derniers, qui traquent les économies à réaliser, estiment que “la perte théorique entre la durée de travail légale et celle pratiquée dans la commune représente 20 emplois à temps complet, ou un coût salarial de 707 000 euros pour l’année 2013”. Pour l’agglomération du Puy, la perte est estimée à 423 000 euros, soit 13 équivalents temps plein. Contacté par Le Lanceur, le directeur général des services du Puy-en-Velay n’y voit pas d’inconvénient majeur et ne compte pas renégocier les contrats des fonctionnaires. “Ce n’est pas une priorité”, nous a-t-il assuré. Un double discours pour le nouveau président du conseil régional et numéro deux du parti Les Républicains, Laurent Wauquiez, qui s’est prononcé clairement pour une semaine entre 42 et 45 heures de travail, au micro de nos confrères de BFMTV le 26 janvier.

“Je regrette que les 35 heures ne soient pas remises en cause. Ça fait des années qu’on en parle et on ne fait rien. Ce qui m’énerve, c’est l’impuissance des hommes politiques en France, ils parlent et ils ne font rien. C’est pour ça que je me suis investi dans ma région, parce que c’est concret”, a-t-il déclaré. Et il a tenu à souligner : “Aujourd’hui, plus personne ne fait confiance aux hommes politiques parce qu’ils disent quelque chose et qu’ils font pour eux-mêmes autre chose.”

Marseille ferait une économie de 10 millions d’euros par an si ses agents travaillaient aux 35 heures

Dans les grandes agglomérations françaises, le scénario est le même. À Paris, les fonctionnaires sont heureux : ils travaillent en moyenne entre 1 525 et 1 550 heures par an (théoriquement, ils devraient travailler 1 607 heures). Sous le mandat de Jacques Chirac, des dispositions avantageuses ont été votées : 8 jours de congé supplémentaires dits “du maire” et un 9e pour les mères de famille à l’occasion de la Fête des mères. Mais certains agents, pour des raisons de pénibilité, sont encore mieux lotis : les égoutiers (32 heures), les éboueurs (33 heures), les agents des piscines ou encore les bibliothécaires (34 heures).

À 800 kilomètres de la capitale, à Marseille, les 18 000 agents de la fonction publique territoriale sont presque logés à la même enseigne. La ville, tenue par Jean-Claude Gaudin (LR), applique une durée du travail de 1 567 heures, due à des avantages horaires accordés au personnel de la ville en 2002. Pourtant, en rétablissant la durée légale de travail, la ville “ferait une économie de 10 millions d’euros par an et accroîtrait, sans dépenses supplémentaires, sa force de travail de 280 équivalents temps plein”, ont calculé les magistrats de la chambre régionale des comptes, qui ont vivement critiqué ces avantages horaires indus.

Mais le maire ne compte pas appliquer la loi de sitôt : dans une réponse à la CRC, Jean-Claude Gaudin précise que “la ville maintiendra cet horaire illégal, en raison notamment de la spécificité des conditions de travail à Marseille et des problèmes sociaux que provoquerait la mise en œuvre des dispositions légales sur la durée du travail”.

À Lyon, la chambre régionale des comptes et l’association de contribuables Canol ont également pointé du doigt un temps de travail des fonctionnaires de la ville en dessous des 35 heures. Avec un jour “du maire” et deux jours supplémentaires considérés comme des avantages acquis, la moyenne tourne autour de 1 568 heures. La ville a même été condamnée en première instance par le tribunal administratif en 2003 (au même titre que le Grand Lyon, le conseil général du Rhône et la commune d’Écully) à négocier de nouveaux accords avec le personnel, ceux-ci devant respecter la durée annuelle de travail de 1 607 heures. Seule la ville de Lyon et le Grand Lyon ont fait appel ; la cour d’appel a infirmé le jugement, l’association Canol n’ayant pas “qualité à agir”. Du coup, la ville de Lyon n’a pas jugé bon de se mettre dans les clous. Alors que le conseil général et la commune d’Écully ont respecté le jugement de première instance et sont revenus à une durée légale du travail.

“Comme la justice ne nous y obligeait pas, on n’a rien changé. Honnêtement, c’est un sujet sensible à aborder avec les syndicats et on n’avait pas forcément envie d’aller au conflit, nous a expliqué un haut fonctionnaire de la ville de Lyon. Ces avantages acquis datent des années 1990 et, quand la loi sur les 35 heures est passée, les agents ont bien voulu changer leur rythme de travail mais n’ont pas voulu toucher aux acquis sociaux.” Depuis, la direction de la ville réfléchit à de nouveaux cycles de travail et à une durée qui respecterait les 1 607 heures…

27 jours de congé supplémentaires

À Vénissieux, dans la banlieue sud de Lyon, on s’accommode aussi très bien d’une durée du travail illégale et en dessous des 35 heures. Avec un régime de congés et d’absences très favorable, les fonctionnaires de cette ville du Rhône travaillent entre 54 et 189 heures de moins que la durée légale, ce qui représente entre 7 et 27 jours de congé supplémentaires. La CRC a calculé que le total de ces heures non travaillées correspondait à l’équivalent temps plein de 25 agents. Michèle Picard, maire PCF de la ville depuis 2009, compte “ouvrir un chantier avec les partenaires sociaux”, mais “aucune date n’est prévue pour l’instant et cela risque d’être long”, nous a confié un membre de son équipe.

En novembre dernier, les magistrats de la CRC relevaient que les salariés du service départemental d’incendie et de secours (Sdis) de l’Ardèche étaient, eux aussi, en dessous du seuil légal fixé à 1 607 heures. Avec 133 gardes postées de 12 heures, le temps de travail annuel est de 1 596 heures.

La région Languedoc-Roussillon, le département du Tarn, le bailleur social Grand Lyon Habitat, Nanterre, Drancy, Bron ou encore Chassieu ont également été épinglés par les chambres régionales des comptes, qui ont mis au jour une durée du travail en dessous des 35 heures, sans que ces derniers changent leur fusil d’épaule.

À quand le bilan des 35 heures ?

Le cas le plus singulier reste celui de Pierre-Bénite, au sud de Lyon, qui embauche environ 270 agents. Les fonctionnaires de la ville (ceux des écoles maternelles, de musique et d’art) y travaillent jusqu’à 200 heures de moins que le seuil légal, ce qui représente presque 29 jours de congé supplémentaires. Un record. Le régime général, appliqué à une majorité d’agents, est de 1 498 heures. Les juges financiers estiment donc qu’“il en résulte une perte annuelle de temps de travail, par rapport aux dispositions légales, de l’ordre de 25 000 heures pour les services communaux, soit près de 17 agents en équivalents temps plein et 500 000 euros par an”. En 2013, au vu de la gabegie, les élus ont réagi et modifié le temps de travail pour arriver au plafond de 1 607 heures.

Depuis quinze ans, le bilan des 35 heures dans la fonction publique n’a jamais été réalisé. L’année dernière, Manuel Valls a confié à Philippe Laurent, maire UDI de Sceaux (Hauts-de-Seine) et président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, une mission d’évaluation du temps de travail dans la fonction publique. Il doit remettre son rapport, très attendu, début mars.

 

* Les 7 heures supplémentaires ont été instaurées en 2004 avec la journée de solidarité avec les personnes âgées.

 

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