Le Lanceur

Conférence Le Lanceur à Toulouse : “Enquêter sur les suites de l’alerte”

À l'Itinéraire-bis à Toulouse, Le Lanceur tenait une première conférence de rédaction publique aux côtés de Bernadette Collignon, Hervé Lebreton et Céline Boussié ©Mathilde Régis

Quelle relation entretiennent les lanceurs d’alerte avec les journalistes ? Que peuvent-ils attendre d’une nouvelle revue consacrée à l’alerte ? À L’Itinéraire-Bis de Toulouse, Le Lanceur a tenu sa première conférence de rédaction publique aux côtés de lanceuses d’alerte sur la maltraitance d’enfants polyhandicapés et du président de l’association Pour une démocratie directe, Hervé Lebreton.

Lancée malgré elle dans le “grand bain”. À Toulouse, à l’occasion de la première conférence de rédaction publique pour échanger avec des lanceurs d’alerte sur la création d’une revue semestrielle consacrée à l’alerte, Céline Boussié raconte le soutien des médias à son alerte, mais aussi ses déconvenues. Après avoir alerté en interne, contacté l’agence régionale de santé et écrit au président de la République sur les conditions de vie des enfants polyhandicapés au sein de l’institut médico-éducatif de Moussaron dans lequel elle travaille, elle évoque un “parcours du combattant pour essayer de sortir l’affaire dans la presse”.

Pour elle, la médiatisation a nécessité le concours de Philippe Croizon, amputé des quatre membres après un accident du travail, qui multiplie les exploits sportifs, comme celui de traverser la Manche à la nage. Il l’a aidée à interpeller Marie-Arlette Carlotti, la ministre déléguée aux personnes handicapées et à la lutte contre l’exclusion de l’époque. Invitée à témoigner des maltraitances sur les enfants polyhandicapées au sein de l’IME de Moussaron (dans le Gers), une chaîne d’information continue masquera ses cheveux d’un foulard mais conservera sa voix telle quelle. Une entorse à la protection des sources qui coûtera cher à la lanceuse d’alerte.

“Ça a donné lieu à sept mois d’enfer sur les réseaux sociaux, raconte-t-elle. Les collègues de travail de l’IME s’en sont pris à moi. Leur colère n’était pas tournée sur les conditions d’hébergement des enfants, mais sur le fait de garder leur job.” D’autres travaux journalistiques, comme le tournage d’un numéro de l’émission Zone interdite, auront l’effet inverse : mettre des images sur ce que la lanceuse d’alerte dénonce. Une émission qui sera diffusée au tribunal suite à la plainte pour diffamation déposée par la direction de l’IME.

L’alerte en SAV

Bernadette Collignon était également présente ce mercredi à L’Itinéraire-Bis pour la première conférence Le Lanceur. En 1999, elle aussi a dénoncé les conditions de vie des enfants polyhandicapés de l’IME de Moussaron. “Nous avions pensé à l’époque qu’il était important d’alerter les médias, pour ne pas rester enfermé dans Moussaron et se faire écraser comme le précédent lanceur d’alerte, dit-elle. Un certain nombre de médias nationaux ont fait des reportages, mais après ils ont laissé tomber. Je suis certaine que les journalistes qui étaient venus nous rencontrer étaient convaincus de notre bonne foi, mais nous avons été condamnés, alors ils ont laissé tomber.” Les deux lanceuses d’alerte s’accordent sur la nécessité journalistique d’informer sur les suites d’une alerte et d’enquêter pour tenter de répondre aux questions qui demeurent. “L’Onu, lorsqu’elle dénonce les traitements indignes et dégradants ainsi que l’impunité des établissements, cite Moussaron. Mais de quelle impunité parlent-ils ?” s’interroge-t-elle, concernant un éventuel volet politique de l’affaire.

Guide pratique de l’alerte

Une autre piste évoquée est une rubrique “guide pratique” pour une meilleure connaissance des textes de loi et de la place de la liberté d’expression dans la Constitution française. Les gens n’ont pas les armes pour se battre, monter au créneau et se protéger. Pourtant, les textes sont là. Dans ma profession, je suis censée être protégée…”, souligne Céline Boussié.

Pour Hervé Lebreton, “le savoir est le premier pas de l’émancipation. Et le savoir, c’est connaître nos droits”. Ce sont justement ses connaissances qui ont permis à ce citoyen d’obtenir le détail de l’utilisation des millions d’euros de la réserve parlementaire. “Ces données vont déclencher une vague médiatique et le sujet deviendra même un marronnier”, dit-il. La mise en lumière de ces dépenses auparavant discrètes a mis fin à la pratique de la réserve parlementaire par la loi de moralisation de la vie publique. D’autres recherches de données ont amené Hervé Lebreton sur un nouveau terrain : celui de l’enrichissement personnel de députés par de l’argent public, grâce à l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM). Pour lui, “c’est peut-être aussi aux journalistes d’expliquer que les citoyens ont des possibilités pour demander des informations, de montrer comment agir et quels sont les possibles”.

Montrer des contre-exemples

Dans l’assistance, Odile Maurin, présidente de l’association Handi-Social, pointe la possibilité de changement à propos du handicap. “Le grand discours tenu en France est qu’on peut insérer dans la vie ordinaire les handicapés moteurs mais que les polyhandicapés (physique et mental), ce n’est pas gérable en dehors de l’institution”, explique-t-elle.

Nous avons organisé un colloque sur la vie autonome, raconte-t-elle, et nous avons vu venir de Suède un jeune homme polyhandicapé qui est accompagné en milieu ordinaire. Ce jeune homme choisit ce qu’il va manger, avec qui, à quelle heure et d’aller faire ses courses. Même dans le meilleur des établissements en France, une personne polyhandicapée mange toujours à la même heure et fait des activités, qu’elle en ait envie ou pas. Même dans ces établissements qu’on pourrait qualifier de bien-traitants, on est à mille lieues de penser qu’il soit possible de donner de l’autonomie à des personnes polyhandicapées, alors que ce n’est pas le cas.”

Ceci confirme qu’une revue consacrée à l’alerte se devra de proposer des solutions et de montrer des contre-exemples aux dysfonctionnements auxquels sont confrontés les lanceurs d’alerte. Une nécessité partagée par les intervenants de cette première conférence, conclue par les mots de Bernadette Collignon : “Les lanceurs d’alerte décrivent des situations grises, voire noires. Mais ce n’est pas un choix. Si on lance une alerte, c’est parce qu’on est convaincu que ça peut être autrement.”

La prochaine conférence de rédaction publique Le Lanceur se tiendra le 13 juin à Grenoble avec Raymond Avrillier.

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