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Des médecins sous pression témoignent de la “logique comptable” au CHU de Grenoble

Image du 1er épisode de la web-série "Hôpital à la dérive, patients en danger", diffusé sur le site Passeurs d'alerte.

Pour le premier épisode de la web-série documentaire “Hôpital à la dérive, patients en danger”, les réalisateurs Caroline Chaumet et Bernard Nicolas ont interrogé le personnel d’un hôpital encore sous le choc après le suicide dans un bloc opératoire d’un neurochirurgien de 36 ans.

Crise de sens, fatigue, isolement et stress. Dans les couloirs de l’hôpital de Grenoble, “il n’y a pas un jour sans qu’on rencontre une personne les larmes aux yeux, qui est à bout et qui va travailler”, raconte une anesthésiste pédiatrique. Après avoir levé près de 20.000 euros pour réaliser la web-série Hôpital à la dérive, patients en danger, Bernard Nicolas et Caroline Chaumet dévoilent dans le premier épisode le témoignage de médecins et d’infirmières sur le style de management au CHU de Grenoble, pointé du doigt par le médiateur national Édouard Couty suite au suicide du neurochirurgien Laurent Selek. “Depuis plus de six mois, je viens travailler avec une boule au ventre, une angoisse permanente de ne pas réussir à finir dans les temps”, livre l’une des deux pédiatres endocrinologues arrêtées par la médecine du travail pour un burn-out.

Réduire les activités moins rentables en cas de dépenses trop fortes

Le documentaire de Caroline Chaumet et Bernard Nicolas en dit long sur la rupture entamée entre la direction de l’hôpital et ses équipes. Selon des médecins, la logique comptable en vient à dépasser la notion de soin. “Si vous avez trop dépensé, il faut réduire certaines activités, celles qui sont le moins “rentables” pour l’hôpital, comme les consultations plus ou moins longues et tout ce qui n’est pas de l’hospitalisation pure”, raconte une professeure de médecine interne. Un médecin biologiste présente ensuite un tableau de chiffres dans lequel les bons élèves sont encouragés par un smiley vert, et les mauvais désignés par un smiley rouge. Parallèlement, une pédiatre déplore qu’en “quinze ans d’exercice jamais personne, à quelque niveau que ce soit, ne s’est soucié de si je soignais bien, dans de bonnes conditions, si j’étais compétente et mettais en œuvre tout ce qui était possible dans mon époque, avec le progrès, pour offrir aux patients qui m’étaient confiés par mon établissement les soins de la meilleure qualité auxquels ils avaient droit”.

“Comme sur une chaîne de montage”

La direction du CHU n’a pas souhaité recevoir les réalisateurs et leur a interdit l’accès à l’hôpital, leur transmettant seulement des informations sur les moyens supplémentaires qui seront alloués, notamment au service de pédiatrie. Marqué par le récent suicide du neurochirurgien Laurent Selek, le CHU de Grenoble ne serait pas un cas isolé. En témoigne la prise de parole de l’avocate Christelle Maza sur la perte de sens du travail de médecin à l’heure actuelle. “Le médecin est là pour soigner, pour faire que les patients aillent mieux et il y a quelque chose de très noble. Mais, quand aujourd’hui on vous met dans une espèce de travail à la chaîne, comme sur une chaîne de montage, qu’on vous dit qu’il faut faire quinze actes dans la journée et que le gestionnaire n’en a rien à faire de comment se sent Mme Michu, deux cultures s’affrontent et ne peuvent pas se comprendre.” Pour l’avocate au barreau de Paris, spécialisée dans la défense des médecins, “nous sommes clairement en train d’assister à une mutation du service public de la santé qui n’est pas clairement indiquée. L’État n’a plus ou ne veut plus se donner les moyens d’un service public égalitaire de santé”. Pour témoigner de ces changements et de leurs effets sur les médecins, d’autres épisodes de la web-série sont en cours de réalisation.

* Parallèlement à ce travail, le chef de radiologie de l’hôpital européen Pompidou à Paris, le professeur Philippe Hamili, également président de l’association Jean-Louis Mégnien, publie avec le professeur Christian Marescaux le livre Hôpitaux en détresse, patients en danger, aux éditions Flammarion.

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