Le Lanceur

“La commission Juncker se moque du monde !” (Michèle Rivasi, députée européenne EELV)

Michèle Rivasi, députée européenne EELV © Tim Douet

Michèle Rivasi, députée européenne EELV © Tim Douet

Michèle Rivasi fustige le manque de courage de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) alors que Bruxelles a prolongé jusqu’à fin 2017 l’autorisation du glyphosate, la substance du fameux Roundup, et que l’EFSA est de nouveau au centre d’une polémique. L’association Générations futures l’accuse en effet d’autoriser l’utilisation d’herbicides dangereux pour la santé qui devaient pourtant être interdits.

La députée européenne EELV reproche aussi à la Commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker d’être plus sensible aux lobbys industriels qu’aux conséquences sanitaires et environnementales. Entretien sans concession.

 

Le Lanceur : Comment analysez-vous la décision de Bruxelles de prolonger l’autorisation du glyphosate, le temps de l’attente d’un nouvel avis scientifique, émanant cette fois de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) ?

Michèle Rivasi : Le côté positif, c’est que nous avons fait reculer un peu la Commission européenne et qu’il y a eu une mobilisation citoyenne exceptionnelle en France et en Europe. En revanche, je suis assez pessimiste sur l’avis de cette agence, l’ECHA. Je vois mal comment elle pourrait donner un avis différent de celui de l’EFSA, l’Agence européenne de sécurité des aliments, à savoir considérer que le glyphosate est probablement cancérigène, comme l’a dit l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS. Si l’ECHA donne un avis divergent de l’EFSA, c’est tout le modèle et le fonctionnement de l’EFSA qui serait à revoir. Là, avec cette décision, je crois malheureusement que c’est reculer pour mieux sauter. Il faut repartir au combat.

L’EFSA joue-t-elle pleinement son rôle, à savoir la défense des consommateurs européens ?

Pour bien comprendre, l’EFSA a été créée en 2002 pour répondre à la crise de la vache folle, pour sécuriser les consommateurs et surtout pour délivrer des avis scientifiques. L’EFSA a un rôle primordial à jouer puisqu’elle doit rendre des expertises dans des domaines qui intéressent la vie de tous les Européens : l’agroalimentaire, les pesticides, les produits chimiques, etc.

Je suis très déçue par le fonctionnement de l’EFSA. J’y suis allée pour voir et rencontrer la direction et assister à des réunions d’experts. N’importe quel parlementaire européen a le droit d’assister à leurs travaux. Sur le principe et sur le papier, c’est très bien. Sauf qu’ils sont installés à Parme, en Italie, et qu’il n’y a pas de vol direct depuis Bruxelles. Passons sur cet aspect peu pratique, mais qui a son importance puisque en fait quasiment aucun parlementaire ne fait le voyage.

L’EFSA a vraiment la trouille d’éventuels ennuis juridiques”

 

Le fonctionnement de l’EFSA est très décevant. Tout d’abord, les parlementaires et les citoyens n’ont pas accès à toutes les déclarations d’intérêt des experts. Certaines déclarations manquent cruellement, on peut donc penser que des experts ont des conflits d’intérêts. Ensuite, l’EFSA ne s’appuie pas dans son travail sur le principe de précaution. Elle évalue les risques. La nuance est de taille. Du coup, elle a peur d’avoir des procès de la part des industriels et des lobbys. L’EFSA a peur des procès que pourrait lui intenter Monsanto. L’EFSA a vraiment la trouille d’éventuels ennuis juridiques, car elle devrait embaucher des avocats, des juristes, avec le risque d’être condamnée et donc de voir son budget amputé.

C’est ce qui s’est passé avec l’EMA, l’Agence européenne du médicament. Des laboratoires ont poursuivi l’EMA et cela lui a coûté cher, puisque ses avis sont de la responsabilité de l’agence.

Pourtant, l’EFSA est une autorité publique qui dépend de l’Union européenne…

L’EFSA est entièrement financée par les budgets de l’Union européenne. En 2014, l’EFSA disposait d’un budget de 79 millions d’euros, en 2013 de 76 millions d’euros. En son sein, il y a des experts maison, qui appartiennent à l’EFSA, et d’autres qui ne sont pas employés par l’EFSA mais par chacun des États membres. Ceux-ci ne sont pas rémunérés par l’EFSA, chacun des États membres s’en charge. Ils perçoivent une indemnité forfaitaire.

Mais, je crois que l’EFSA a vraiment peur d’être poursuivie par les industriels devant les tribunaux et de devoir engager des frais importants. Ceci dit, l’EFSA se trompe. Si elle expliquait ses avis devant les parlementaires, si elle disait “Nous prenons cet avis parce que scientifiquement ça se tient, qu’il pourrait y avoir des implications industrielles, et donc qu’il y a besoin d’une rallonge budgétaire, si elle disait “Nous avons un budget de 79 millions d’euros, mais nous avons besoin de 10 millions supplémentaires, pour d’éventuels procès, mais nous voulons protéger la santé des consommateurs”, je suis persuadée que les parlementaires suivraient sans aucun problème. Et je parle là des parlementaires de tous bords, pas uniquement les Verts. Quasiment tous les parlementaires estiment que l’EFSA ne fonctionne pas correctement. Les parlementaires souhaiteraient que l’EFSA prenne ses responsabilités.

Mais ils restent sourds aux critiques. Ils sont à la limite de l’autisme. Le directeur de l’EFSA, Bernhard Url, voulait même me poursuivre en diffamation parce que j’avais émis des critiques qui me paraissent légitimes et que je ne suis pas la seule, loin de là, à exprimer.

Nous ne nous battons pas contre l’EFSA mais pour que cette autorité soit digne de ce nom, avec de vrais moyens financiers pour disposer d’experts indépendants rémunérés correctement pour les travaux qu’ils mènent au service de l’EFSA. Ce n’est malheureusement pas le cas.

L’EFSA se cache derrière son petit doigt. Et elle n’a pas l’appui de la Commission”

  

L’EFSA dit à propos des députés européens écologistes que vous êtes idéologiquement contre les industriels et les OGM, par exemple. N’a-t-elle pas raison ?

Non, pas du tout. L’EFSA nous a dit plusieurs fois que nous étions idéologiquement contre, par exemple, les OGM, les organismes génétiquement modifiés. Ce n’est pas vrai, nous nous fondons sur les résultats des études d’experts indépendants et non pas sur des études financées par l’industrie. Or, l’EFSA prend ses avis en se basant sur des études payées par les industriels. C’est ce qui se passe avec le glyphosate, la matière active du Roundup, le désherbant. Il est possible d’aller consulter les études sur lesquelles l’EFSA a basé une grande partie de son avis sur le glyphosate. Mais il faut aller à Parme, en Italie ou en Allemagne, dans une salle sans pouvoir photocopier les graphiques ou les données. C’est hallucinant. C’est donc la non-transparence la plus totale qui règne et nous la contestons vivement depuis des années.

Nous avons exigé de l’EFSA qu’elle publie les études sur lesquelles elle s’est basée pour affirmer que le glyphosate “n’est probablement pas cancérogène”, elle nous a dit qu’elle devait consulter les industriels avant de pouvoir publier ces études qui leur appartiennent. De même, notre demande de divulguer le nom des experts qui ont participé à l’évaluation du glyphosate pour l’EFSA n’a pas été satisfaite.

Or, des experts indépendants, nous en connaissons plein, mais ils ne sont pas mis à contribution. Sur les 75 experts qui ont participé à la réévaluation du glyphosate, l’EFSA n’a révélé l’identité que de 14. C’est un scandale ! Nous ne demandons pas l’adresse des experts mais seulement leur identité, pour pouvoir connaître leurs liens éventuels avec les industriels. Que l’on ne nous fasse pas valoir le principe de la protection de la vie privée, cela n’a rien à voir.

Les données brutes de ces études, qu’elles soient faites par Monsanto ou par des chercheurs indépendants, devraient être accessibles sur un site public en ligne et sous une forme exploitable statistiquement.

En réalité, l’EFSA se cache derrière son petit doigt. Et elle n’a pas l’appui de la Commission. C’est essentiel, car, sans appui politique, elle n’a pas de poids en fait.

Des experts inconnus barricadés derrière des portes closes décident du futur de la substance active de l’herbicide le plus vendu au monde, bien loin des principes de démocratie et de protection de la santé publique”

 

Ce que vous dites, c’est que c’est moins un problème technique qu’une question politique, et que l’EFSA n’a pas la confiance de la Commission européenne ?

Oui, c’est exactement ça. L’EFSA n’a pas le soutien de la Commission européenne, présidée par Jean-Claude Juncker depuis 2014. Le commissaire européen à la Santé, M. Vytenis Andriukaitis, vient d’un petit pays, la Lituanie, et n’a pas beaucoup de poids. Et, dans son ensemble, la Commission européenne est très sensible aux arguments des industriels, mais très peu à l’écoute des questions de santé, de consommation et d’environnement. C’est donc avant tout une question politique. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Les ONG revendiquent depuis des années la publication systématique des données scientifiques qui sous-tendent les avis rendus par l’EFSA. En 2011, il y a déjà eu des procès pour non-publication des études sur le glyphosate : il y a eu une plainte déposée en 2011 par Greenpeace, qui cherchait à obliger la Commission européenne à dévoiler les données scientifiques justifiant l’avis précédent de l’EFSA sur le glyphosate. Les ONG ont gagné en première instance, mais la Commission – soutenue par toute l’industrie chimique – a fait appel. Qui n’a pas admis cette décision ? Eh bien, la Commission européenne ! C’est elle qui a fait appel pour ne pas divulguer les études sur le glyphosate.

Le diable est dans les détails. La Commission va clairement à l’encontre d’une volonté du public. Sur le glyphosate et d’autres dossiers, la Commission et des États membres se moquent du monde. Des experts inconnus barricadés derrière des portes closes décident du futur de la substance active de l’herbicide le plus vendu au monde, le Roundup, bien loin des principes de démocratie et de protection de la santé publique, bien loin de l’avis de l’Organisation mondiale de la santé et du million de citoyens européens qui ont signé contre la renouvellement de l’autorisation de cette substance.

Dès lors, les lobbys ont tout loisir pour travailler, influencer les décisions, placer leurs scientifiques et agir assez efficacement, pour leurs intérêts mais pas ceux du public. Les lobbys disposent de tout l’espace pour imposer leurs experts. Ils se sont engouffrés dans l’espace laissé vacant par la Commission européenne.

Les lobbys sont très à l’aise avec la commission Juncker”

 

Comment se passe le lobbying des industriels ?

Le lobbying est très élaboré. Il est très professionnel et ne laisse rien au hasard. Par exemple, on a vu apparaître des études d’impact. Celles-ci sont réalisées par les industriels, pour dire, en résumé : “Si vous interdisez ce produit, voilà ce qui arrivera : des emplois vont être supprimés, des usines vont fermer et cela va être catastrophique pour l’économie en Europe.” Or, la Commission n’est sensible qu’à ces seuls arguments.

L’un des exemples les plus significatifs du lobbying est celui de l’ILSI, l’International Life Sciences Institute, basé à Washington et à Bruxelles, qui se présente comme une ONG. En réalité, on y retrouve tous les lobbys de l’agroalimentaire : Coca-Cola, Monsanto, Bayer, BASF, l’industrie agrochimique, etc. En 2010, nous avons demandé la démission de la directrice de l’EFSA – Diana Banati, accusée de conflits d’intérêts depuis plusieurs années – en raison de ses liens avec l’ILSI. José Bové a dénoncé la participation de Diana Banati au conseil d’administration de l’ILSI. Depuis, elle a pris la direction de l’ILSI à Bruxelles.

Autre conflit d’intérêts : en avril dernier, l’EFSA a nommé Barbara Gallani au poste de directrice de la communication alors qu’elle occupait encore le rôle de chef scientifique de la Food and Drink Federation au Royaume-Uni. C’est impossible de cautionner ce genre de portes tournantes et ce méli-mélo entre intérêts privés et publics. Lorsque j’en ai parlé au directeur de l’EFSA, Bernhard Url, il m’a dit qu’il ne voyait pas le problème.

Lorsqu’il a été proposé de mettre en place une signalétique simple sur les produits alimentaires, avec des codes couleur, rouge, orange ou vert, pour indiquer si les produits sont trop sucrés ou trop salés, l’ILSI est tout de suite intervenu pour bloquer la proposition. On les a vus agir aussi au niveau des pesticides et de l’étiquetage des aliments. Tout ce qui peut donner lieu à une information éclairée du consommateur est immédiatement bloqué et rejeté par l’ILSI, qui se dit indépendant. Mais les lobbys sont très à l’aise avec la commission Juncker.

 

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