Le Lanceur

La fin des apparatchiks ?

Aux côtés des élus locaux, des députés ou des ministres depuis la fin de leurs études, ils n’ont jamais exercé ailleurs que dans la sphère politique. Jean-Baptiste Forray leur consacre une enquête : La République des apparatchiks, publiée aux éditions Fayard. Avec l’arrivée d’Emmanuel Macron, cette armée de collaborateurs pourrait bien avoir du mal à se recaser. Entretien.

Le Lanceur : Après avoir consacré un premier livre aux barons locaux, vous vous êtes penché sur leurs petites mains, leurs porte-serviettes montés en graine, que l’on appelle dans le milieu politique les apparatchiks. Quel a été l’élément déclencheur de cette enquête ?

Jean-Baptiste Forray : L’affaire Thévenoud a fait éclater le phénomène au grand jour et j’ai savouré l’excellent billet de Michèle Delaunay : “Le tunnel, ou comment faire carrière sans mettre un pied dans la vraie vie”. Je n’avais pas perçu tout le poids des purs professionnels de la politique parmi les jeunes députés PS. Toute cette génération n’est pas atteinte de “phobie administrative”, mais elle manque d’attaches avec la population. Les époux Thévenoud restent, de ce point de vue-là, typiques. Ils baignent depuis toujours dans le marigot politique. Au début des années 2000, Sandra Thévenoud œuvrait au cabinet de Pierre Moscovici et Thomas était son correspondant chez Laurent Fabius. Les époux se sont rencontrés dans les couloirs de l’Assemblée et leur idylle s’est nouée lors d’un pot de fin de session à Matignon. Sandra était strausskhanienne, Thomas fabiusien. À eux deux, ils épousaient tout le spectre solférinien. Ils se sont fait la courte échelle pendant un certain nombre d’années et, lorsque Thomas est devenu député, il connaissait déjà bien les lieux pour y avoir opéré comme collaborateur du groupe socialiste. C’est comme cela qu’il a très rapidement obtenu un poste au sein de la prestigieuse commission des finances et qu’il s’est installé dans le bureau très cosy de Jack Lang. Selon Mediapart, Sandra Thévenoud gagnait 9.400 euros comme cheffe de cabinet à la présidence du Sénat. Un chiffre qui laisse pantois.

Les “apparatchiks” sont-ils seulement, comme le couple Thévenoud, au Parti socialiste ?

C’est en tout cas le parti où le phénomène est le plus massif : parmi les primo-députés de moins de 50 ans qui ont grandement contribué à la vague rose de 2012, deux tiers étaient d’anciens assistants parlementaires ou collaborateurs d’élus locaux. Europe Ecologie-Les Verts est sans doute comparable à un micro-PS. Alors que le parti s’est toujours voulu le porte-voix de la société civile et avait prospéré grâce à cela aux élections européennes, ceux qui ont finalement raflé les postes de président de groupe en 2011 et 2012 (Jean-Vincent Placé d’abord au Sénat, puis François de Rugy et Barbara Pompili à l’Assemblée) sont de purs professionnels de la politique. À droite, de plus en plus de directeurs de cabinet succèdent à leur patron à la tête d’une municipalité, comme à Châteauroux, à Arras ou à Vannes. Parmi les exemples célèbres, il y a Éric Ciotti, assistant parlementaire puis directeur de cabinet de Christian Estrosi pendant près de vingt ans. Le FN n’est pas en reste, où l’on voit de plus en plus de jeunes gens cumuler un job d’assistant parlementaire de député européen avec un mandat de conseiller régional et, surtout, des fonctions au sein de l’appareil central du parti.

Les bébés BFM représentent assez bien la nouvelle génération, très clairement à la jointure de la com et de la politique”

 

Avec l’élection d’Emmanuel Macron et le rejet des partis traditionnels, l’avenir des “autoentrepreneurs de la politique” peut-il s’assombrir ?

Si des élus pourront se replier sur leurs fiefs locaux, la moitié du système risque d’exploser en vol. Emmanuel Macron a ubérisé la classe politique. Le pouvoir national va en grande partie échapper aux professionnels de la politique. Or, nous avions affaire à des élus qui passaient alternativement du pouvoir local au pouvoir national et tissaient des plans de carrière à cinq ou dix ans, pariant parfois cyniquement sur la défaite de leur camp. Une fausse alternance entre le PS et l’UMP. Un système qu’Emmanuel Macron a autopsié avec beaucoup d’acuité. Mais, dans certaines circonscriptions, le vieux monde perdure aux législatives. Un exemple type est celui du 18e arrondissement de Paris. Pur professionnel de la communication et de la politique, Pierre-Yves Bournazel (LR) se retrouve face à la socialiste Myriam El Khomri, elle-même ex-collaboratrice de cabinet à la mairie du 18e et ancienne assistante parlementaire. Il y a aussi là l’ancienne attachée de presse de Benoît Hamon, Caroline de Haas, qui est candidate. Par ailleurs, des professionnels de la politique se sont aussi recasés chez Emmanuel Macron, comme Jean-Baptiste Lemoyne, un “Coppé’s boy” qui était sur une ligne assez droitière il y a seulement une poignée d’années, ou Arnaud Leroy, député PS qui avait été l’assistant parlementaire de l’écologiste Gérard Onesta.

Moins de médecins, d’avocats ou d’enseignants à l’Assemblée nationale et toujours plus d’anciens collaborateurs parlementaires ou d’ex-directeurs de cabinet : la promesse de faire entrer des membres de la société civile dans l’hémicycle est-elle un leurre ?

Parmi la jeune génération, celle des quadras, il y aura forcément des anciens assistants parlementaires qui n’ont jamais exercé ailleurs que dans la politique. Mais, de manière générale, un certain nombre de professions vont faire leur entrée en force à l’Assemblée nationale : beaucoup de chefs d’entreprise, de personnalités qui gravitent dans l’univers des start-up, de communicants ou de consultants. La grande question est de savoir si tous les pans de la société seront représentés. A priori, ce ne sera pas le cas, car on voit très peu d’ouvriers ou d’employés. Par ailleurs, il y avait plus d’un quart d’avocats à l’Assemblée sous la IIIe République. Des personnages emblématiques qui possèdent l’art de l’éloquence, de la conciliation et de la représentation. Il n’y a plus beaucoup d’avocats aujourd’hui : 5 ou 6 % dans l’hémicycle. Et, parmi eux, certains le sont devenus uniquement parce qu’ils étaient députés et qu’une facilité, qui a été supprimée depuis, leur permettait d’obtenir le barreau.

Vous écrivez qu’aujourd’hui, chez les “bébés BFM”, “un bastion, ce n’est plus un canton ou une circonscription. Un fief, c’est une implantation médiatique, un rond de serviette sur BFM-TV, C-News ou LCI”. Avec l’arrivée en masse d’accros à Twitter, quelle place tient l’action politique face à la communication ?

Mes propos sont plus nuancés à la fin du chapitre, car, à l’usage, ce n’est pas forcément la meilleure stratégie pour percer durablement en politique. Chez Les Républicains, Geoffroy Didier a squatté les antennes une bonne partie du quinquennat Hollande et ne sera finalement pas député. Il a aussi connu plusieurs désagréments, car ce type de personnage peut susciter un rejet massif au sein des partis. Je cite par exemple Hervé Gaymard, qui peste : “Pendant que ces apparatchiks squattent les plateaux télé, moi je fais le boulot au fin fond de ma Savoie.” Les vieux routiers de la politique ne supportent pas ces freluquets qui acceptent une invitation au pied levé à 23 heures et qui sont prêts à tout pour passer sur les antennes, même pour un direct en plein milieu du mois d’août. Les bébés BFM représentent cependant assez bien la nouvelle génération, qui est très clairement à la jointure de la com’ et de la politique. Avant de sombrer, Thomas Thévenoud était tout à fait dans cette veine-là, Razzy Hamadi (PS) aussi. Certains de ces “bébés BFM” ont leur petite boîte de com’ et font des média trainings auprès de leurs collègues, qui, sur les fonds dédiés à la formation des élus locaux, cherchent à optimiser leurs performances.

Aux apparatchiks d’Aubry vont succéder les bobocrates de Macron”

 

La loi sur le non-cumul des mandats présage-t-elle le règne ou la fin des apparatchiks à l’Assemblée nationale ?

Avec la victoire d’Emmanuel Macron à la présidentielle, un certain nombre de stratégies d’évitement lancées par les barons locaux risquent d’échouer. Mais, si nous n’avons pas une Assemblée d’apparatchiks, est-ce que nous n’aurons pas malgré tout une assemblée de godillots ? Des candidats de la Macron Academy manquent d’assise locale. Ils ont souvent été parachutés dans des circonscriptions qui ne sont pas forcément difficiles. Ils doivent tout au prince. Aux apparatchiks d’Aubry vont succéder les bobocrates de Macron. Dans une certaine mesure, car une petite partie du système perdurera aussi malgré tout. Dès les premières lois anticumul, le politologue Yves Mény pointait ces barons locaux qui gardaient des manies d’Harpagon de la politique. Pour ces législatives, ces grands élus ont mis sur la rampe de lancement leur femme, leurs enfants, leurs assistants ou leurs fidèles. Robert Ménard a par exemple mis sa femme à sa place, faute de pouvoir se présenter. Les apparatchiks ont aussi des capacités de rebond. Dans le Val-d’Oise, Sébastien Ménard, un ancien collaborateur de Roger Karoutchi à l’époque où il était secrétaire d’État aux relations avec le Parlement au sein du gouvernement Fillon, se présente sous l’étiquette de la République en Marche. Sous cette même étiquette, Gabriel Attal se présente dans la circonscription d’André Santini dans les Hauts-de-Seine, après avoir été l’assistant parlementaire de Marisol Touraine et l’avoir accompagnée au sein de son cabinet ministériel. En face de lui, André Santini a lancé dans la bataille son jeune poulain, Jérémy Coste, qui était son assistant parlementaire et qui est son conseiller à la société du Grand Paris. C’est exactement la même configuration que dans le 18e arrondissement avec un match d’anciens assistants parlementaires.

Ce surplus de professionnels de la politique n’a-t-il pas précipité la chute du Parti socialiste et celle des Républicains ? Est-ce pour cela qu’Emmanuel Macron a surfé sur l’ouverture à la société civile, contre la professionnalisation de la politique ?

C’est l’une des clés de sa victoire, car il avait diagnostiqué très tôt la décadence des deux grands partis, qui sont des syndicats d’intérêts électoraux. Finalement, ce qui a le plus choqué François Hollande et Manuel Valls, ce n’est pas tellement les sorties d’Emmanuel Macron pour remettre en cause le statut de la fonction publique ou pour assouplir très grandement les 35 heures, mais celles sur la “caste” politique. Ce terme avait valu au ministre de l’Économie une explication de gravure avec Manuel Valls à l’Assemblée nationale. Avant la tenue des primaires, Emmanuel Macron comparait l’exercice au “concours de vachettes avant la corrida”. Si beaucoup ont jugé qu’il faisait preuve de morgue, c’est finalement ce qu’il s’est passé : un concours de vachettes aux primaires avant que la corrida n’oppose Emmanuel Macron à Marine Le Pen. Lors des primaires, nous avions affaire à des appareils politiques qui n’étaient plus capables de choisir, qui n’avaient plus de chef naturel, de militants, et plus véritablement de projet. L’impression était d’avoir des personnes unies par des liens qui semblaient purement professionnels. Pour eux, la politique est devenue un gagne-pain bien plus qu’un engagement. Cela tient notamment à la multiplication des postes politiques dans les collectivités. Un mouvement qui ne devrait pas s’arrêter. Une partie des assistants parlementaires de députés PS ou LR qui se retrouveront sur le carreau après les législatives vont être rapatriés dans les cabinets des élus locaux.

 

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