Le Lanceur

La protection des lanceurs d’alerte en débat

Le lanceur d'alerte Edward Snowden, capture d'écran du film de Citizenfour Laura Poitras / Praxis Film

Comment protéger du suicide social et professionnel ceux qui osent sortir du rang lorsque l’intérêt général est menacé ? Au Mucem, à l’occasion de la Nuit des idées, le débat continue sous l’impulsion du collectif Marseille en commun.

Placardisés, inemployables et accablés de procès pour avoir refusé de fermer les yeux sur des pratiques illégales ou des menaces à l’intérêt général. Le constat est flagrant : le lancement d’une alerte semble avoir du chemin à parcourir pour se faire de manière apaisée. En France, une première pierre a cependant été posée après un long combat. En décembre 2016, un statut juridique a été établi pour les lanceurs d’alerte par la loi dite Sapin II. Une avancée capitale, selon Nicole-Marie Meyer, auteure d’un guide à l’usage des lanceurs d’alerte. Ex-fonctionnaire au Quai d’Orsay, elle fut la première à remporter une bataille juridique contre l’État français, après une longue traversée du désert, pour avoir dénoncé en interne des pratiques pour le moins frauduleuses. Aujourd’hui responsable de l’alerte éthique pour l’ONG Transparency International, elle explique dans l’entretien vidéo ci-dessous en quoi la France dispose de l’un des statuts les plus protecteurs au monde.

De l’application des textes

C’est une chose d’avoir une bonne loi, une autre de protéger effectivement les lanceurs d’alerte”, considère quant à lui le magistrat Éric Alt, vice-président de l’association Anticor. “En France, nous avons de bonnes lois, mais nous n’avons pas d’institutions qui ont les moyens de les appliquer pleinement”, déplore-t-il. Pour pointer le décalage entre les textes et la réalité, Éric Alt regrette le refus de la France d’accueillir le lanceur d’alerte américain Edward Snowden, qui a révélé l’espionnage pratiqué à grande échelle par la NSA : “C‘est un combattant de la liberté et, dans notre Constitution, dans notre Déclaration des droits de l’homme de 1946, il est dit que la France doit accueillir et protéger les combattants de la liberté.”

“Délinquance savante”

Pour combattre la corruption, un combat également inscrit dans la loi Sapin II, encore faut-il y avoir accès. “J’étais dans un microcosme, le seul à voir et à comprendre le détournement des règles de l’urbanisme, les achats frauduleux ou la corruption des fonctionnaires, parce que c’est une délinquance savante, qui nécessite un certain nombre de savoirs.” L’urbaniste Christophe André, pilote de projets immobiliers à Aix-en-Provence, n’a cessé de subir des représailles économiques pour avoir refusé de se corrompre, dans les années 1990. Aujourd’hui, il se consacre à expliquer sur une radio associative les moyens employés pour détourner les règles de l’urbanisme et à décrypter la psychologie utilisée pour corrompre.

Constat d’impuissance

Autre domaine largement concerné par l’alerte : la science. En témoigne le scandale de l’amiante ou le parcours d’André Cicolella, chimiste et toxicologue à l’origine de l’interdiction du bisphénol A dans les plastiques pour biberons en Europe et dans tous les contenants alimentaires en France. Tandis que la loi Blandin prévoyait la création d’une commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement, cette mission a été supprimée par le texte de la loi Sapin II. Une suppression déplorée par Glen Millot, chargé du dossier Alerte au sein de Sciences citoyennes, qui travaille aujourd’hui avec de nombreuses associations à la création d’une maison pour porter les alertes et assurer un soutien psychologique et financier à leurs lanceurs.

“Je n’aurais jamais rien révélé à un médiateur”

S’il s’accorde sur la nécessité de protéger les lanceurs d’alerte, l’ex-salarié de Veolia Jean-Luc Touly confie qu’il n’aurait, à titre personnel, “jamais rien révélé à un médiateur”. Une question de confiance centrale dans les problématiques auxquelles sont confrontés les lanceurs d’alerte. Pour ce militant engagé à dénoncer le manque d’éthique dans la gestion des ressources et dans la pratique de la politique, la logique serait de se tourner vers les journalistes pour bénéficier de la protection des sources. Un débat largement ouvert, puisque la loi Sapin II organise des paliers de signalement : alerter d’abord en interne, via un supérieur hiérarchique ou le système de signalement obligatoirement mis en place dans la plupart des entreprises par cette même loi.

Bataille pour une directive européenne

La protection des lanceurs d’alerte se joue également au niveau européen. Un dossier épineux pour la Commission, qui démarre son mandat sur l’affaire d’optimisation fiscale Luxleaks révélant les accords secrets entre des multinationales et le Grand Duché pour payer moins d’impôts. L’embarras est d’autant plus grand que le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, est mis en cause dans le scandale en tant qu’ex-Premier ministre du Luxembourg. Alors qu’un rapport d’initiative a été voté par le Parlement européen pour inciter la Commission à avancer sur la protection des lanceurs d’alerte, l’eurodéputée EELV Michèle Rivasi, actrice dans la révélation des mesures de radioactivité en France après le passage du nuage de Tchernobyl en créant la CRIIRAD, estime que seule la mobilisation de l’opinion publique est à même de pousser à l’action les États membres et la Commission.

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