Le Lanceur

Le coûteux conseiller du maire autoritaire de Sanary

Ferdinand Bernhard, Maire de Sanary-sur-mer / MaxPPP

Avec 27 ans d’expérience au pouvoir, le maire de Sanary-sur-Mer a certes, besoin de conseils juridiques particulièrement avisés. Il emploie d’ailleurs depuis plusieurs années le numéro 2 de la mairie de Toulon, Robert Cavanna, pour un montant de 30 000 euros par an.

Bienvenue à Sanary-sur-Mer, une commune d’un peu plus de 16 000 habitants dans le sud de la France. Un coin calme et paisible du Var pour profiter d’une retraite souvent bien méritée. À Sanary, un peu plus de 40 % des habitants ont plus de 60 ans. Dans cette commune très touristique pendant la saison estivale, les hostilités sont manifestes entre le maire Ferdinand Bernhard et son opposition, incarnée par Olivier Thomas. Au pouvoir depuis 27 ans, le maire a été mis en examen en juin dernier suite à l’ouverture d’une information judiciaire contre X pour “favoritisme, détournements de fonds publics, prise illégale d’intérêts, corruption et recel”. Sa fâcheuse tendance a faire les choses comme lui seul en a décidé à de quoi excéder les oppositions successives du conseil municipal depuis sa première élection gagnée à Sanary-sur-Mer, il y a un peu plus d’un quart de siècle. Aujourd’hui divers droite, ancien Modem et UDF, Ferdinand Bernhard est l’un des derniers maires mis en place par l’ex “parrain politique du Var”, Maurice Arreckx. Il bénéficierait toujours du soutien politique d’un homme fort du département : le sénateur Les Républicains et maire de Toulon, Hubert Falco.

Nouveaux soupçons de petits arrangements

Dernière crispation dénoncée par Olivier Thomas, ex-inspecteur des impôts et co-référent du Var pour le réseau Anticor : un contrat de 30 000 euros par an de la mairie de Sanary avec le 2e adjoint à la mairie de Toulon, Robert Cavanna, et ce depuis au moins 8 ans.

Olivier Thomas s’interroge sur la réalité de ces prestations et souhaiterait voir une enquête judiciaire à propos de ces contrats. Pour le principal intéressé, Robert Cavanna, les prestations existent et le contrat, possible grâce à un marché de procédure adaptée, concerne avant tout “les adjoints du maire, le personnel de son cabinet, et lui-même. Schématiquement, ce que l’on me demande, c’est une aide à la décision. Par exemple, si le maire a un problème pour savoir comment on renouvelle des amodiations dans le port, il me demande de lui défricher ça juridiquement et d’apporter des connaissances pratiques particulières puisqu’avec ma casquette de président du syndicat des ports, c’est quelque chose que je suis amené à faire. Ce qui intéresse Ferdinand Bernhard, c’est de pouvoir demander des renseignements, si c’est nécessaire, auprès d’un prof de droit qui rencontre les mêmes problèmes que lui dans une commune.”

 

L’élu toulonnais assurerait donc des conseils politico-juridiques personnalisés au maire de Sanary et à ses proches adjoints, tout en étant vice-président du conseil général du Var, conseiller départemental du canton de Toulon 1, conseiller communautaire assorti des casquettes de président de l’office communal d’HLM, président du syndicat des ports et de plusieurs commissions d’appels d’offres, mais surtout, maître de conférences en droit public de la faculté de Toulon. Homme discret, souvent décrit comme l’éminence grise d’Hubert Falco, il se définirait lui-même comme un “élu de dossier”. En effet, ses délégations en affaires juridiques et en marchés publics lui donnent un droit de regard sur de nombreux projets. Même si l’on peut manifestement penser à des conflits d’intérêts puisque Robert Cavanna est amené à voter des subventions pour la ville de Sanary en conseil général, établir des liens directs ne serait pas évident. Jean-Christophe Picard, président de l’association Anticor explique que “les situations de conflits d’intérêts ne sont pas interdites en France et sont d’ailleurs très peu encadrées”.

Des prestations qui “prennent différentes formes”

Le contrat coup de pouce politico-juridique revient à 2500 euros par mois à une municipalité qui a également noué des contrats avec quatre cabinets d’avocats différents pour des prestations juridiques, dont un spécifiquement chargé du droit portuaire, parfaitement habilité à répondre à l’exemple pris par Robert Cavanna, à savoir comment renouveler des amodiations dans le port de Sanary. Et ce pour un contrat entre 500 et 20 000 euros par an, en fonction des prestations demandées. En 2013, les différents appels d’offres pour attribuer les marchés de prestations juridiques pour la commune de Sanary-sur-Mer sont faits en bon et due forme. Un an auparavant, la gestion du maire Ferdinand Bernhard était sévèrement épinglée par la Chambre régionale des comptes. Parmi les nombreux griefs, la Chambre avait relevé de nombreuses irrégularités dans la passation de marchés publics des prestations juridiques, soulignant que des “décisions, dont certaines d’importance, ont été prises par le maire seul”. Ferdinand Bernhard, contacté par Lelanceur.fr, n’a pas trouvé le temps de répondre, il s’était en revanche exprimé sur France 3 à la sortie de sa première garde à vue : “concernant les opposants, ils rêvent d’instrumentaliser la justice et la police pour arriver à ma place alors qu’ils n’y sont pas arrivés par les urnes”. Le maire s’estimait “tout à fait serein pour pouvoir s’expliquer devant le juge”.

 

L’opposition dénonce le fait de ne pas avoir de preuve suffisante pour être sur de la réalité des prestations effectuées par Robert Cavanna. “Ce ne sont pas des prestations qui se traduisent automatiquement par des réunions avec 20 personnes” explique-t-il. “Elles prennent différentes formes. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de contrat et pas de marché. Ce contrat s’est terminé il y a un ou deux mois. Peut-être que le maire va relancer une procédure, ça dépend de lui, après ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de marché que si le maire de Sanary me demande un renseignement, je ne vais pas le lui donner”.  Pourtant, Le Lanceur.fr a eu accès au dernier contrat signé entre Ferdinand Bernhard et Robert Cavanna, contrôlé par la préfecture “par souci de transparence”. Signé le 15 décembre dernier, un contrat similaire à celui de l’année précédente est conclu pour toute l’année 2016.

“Il essaye toutes les voies possibles pour faire abdiquer Ferdinand Bernhard”

Comprenez que “cette double qualité de juriste spécialisé et d’élu local exerçant des fonctions exécutives permet d’affirmer que Monsieur Cavanna est une personne particulièrement apte à appréhender les problèmes de collectivités locales sous l’angle politico-juridique et à faire profiter la commune de ses connaissances et de son expérience” précise le contrat. Ainsi, pour Robert Cavanna, qui calcule d’ailleurs au millimètre son chiffre d’affaires pour éviter à la mairie de Sanary de payer la TVA sur son contrat, l’opposition chercherait à faire tomber Ferdinand Bernhard à tout prix. “Il n’y a eu aucune remarque précise sur ce marché lors du contrôle de la Chambre régionale des comptes. Olivier Thomas a passé son temps à réclamer des centaines de pages au maire au nom de l’information des conseillers municipaux. À tel point qu’on a fini devant le tribunal à plusieurs reprises. C’est un opposant très opiniâtre qui a perdu aux municipales et aux cantonales, donc il essaye toutes les autres voies possibles pour faire abdiquer Ferdinand Bernhard. Aux dernières cantonales, il avait contesté l’élection au motif que Ferdinand Bernhard se prévalait à tort du soutien d’Hubert Falco, maire de Toulon. Il essaye toutes les pistes”, précise le numéro 2 de la mairie de Toulon. L’élu est cependant conscient de la particularité du caractère de Ferdinand Bernhard : “il s’attire les vindictes de l’opposition, car c’est quelqu’un qui ne fait pas dans la rondeur et la diplomatie”. C’est peu dire.

 

Déjà dans les années 90, Claude Escarguel, membre de l’opposition au conseil municipal de Sanary-sur-Mer, avait démissionné après trois ans, car cela “ne servait strictement à rien”. Des années plus tard, rien de vraiment nouveau sous le soleil Sanary-sur-Mer, et ce malgré le rapport accablant de la chambre régionale des comptes de 2012 qui soulignait que la pratique du maire réduisait le rôle de l’assemblée délibérante à celui “d’une simple chambre d’enregistrement”. En septembre 2010, un document de 15 pages présenté au conseil municipal contenait 184 décisions du maire, un exemple parmi d’autres qui pousse la chambre à indiquer que “le même schéma se reproduisant tout au long de l’année, le compte rendu des délibérations de conseil municipal est d’ailleurs un document moins épais que le relevé des décisions prises par le maire sur délégation”. Et de conclure : “Le maire prend donc un grand nombre de décisions sur délégation et en réfère au conseil municipal plusieurs mois après, voire l’année suivante”.

Si la police refuse de sortir les opposants, il suffit de couper les micros.

Pour museler une opposition souvent gênante, Ferdinand Berhnard aurait pour habitude de tout simplement couper leurs micros pendant les conseils municipaux. Le 17 décembre 2014, le maire va cependant plus loin et exige l’expulsion de l’opposition qui lui coupe la parole. Les scènes, filmées en douce, paraissent surréalistes. Tandis que l’opposition fait part du besoin d’avoir accès à des documents pour voter en connaissance de cause, le maire les accuse de jouer aux “désinformés” et les “rappelle à l’ordre” avant d’interrompre la séance et d’ordonner leur sortie. Face à un refus, il appelle la police municipale qui refuse d’user de la force pour sortir les deux opposants. Le maire contacte ensuite la police nationale puis le préfet, qui se voit dans l’obligation d’expliquer à Monsieur Bernhard qu’il ne peut pas faire sortir manu militari des élus qui s’expriment en conseil et lui coupent la parole. Qu’à cela ne tienne, le maire coupera donc tout simplement leurs micros et “considère qu’ils ne sont plus là” pendant le reste de la séance. Couper les micros de l’opposition, une technique de Ferdinand Berhnard déjà éprouvée face aux oppositions précédentes.

La police municipale a-t-elle payé les frais de l’incident ?

Si les policiers municipaux de la tranquille commune de Sanary ont gardé leurs menottes, le maire a décidé de désarmer ces derniers de leur bâton de défense et de leur bombe lacrymogène depuis le mois de février 2015. La prime de fin d’année a également été supprimée. Des décisions comprises clairement comme des punitions pour ne pas avoir sorti les deux opposants politiques lors du conseil municipal de décembre 2014. Deux policiers municipaux ont depuis quitté la commune pour exercer ailleurs. Le contexte d’État d’urgence n’a rien changé à la décision du maire, ce qui est susceptible d’inquiéter ceux qui sont restés : “d’après le maire et son entourage, on est une ville où il ne se passe rien. Mais à l’heure actuelle avec les attentats, le devoir d’un maire est quand même de faire tout pour sécuriser ses employés. Il ne faudrait pas qu’il arrive quelque chose” confiera l’un d’entre eux. Suite au message envoyé par le ministre Bernard Cazeneuve pour surveiller les églises lors de la procession de Pâques de cette année, les policiers municipaux de Sanary ont été autorisés à récupérer matraques et bombes lacrymogènes pour cette journée de manifestation religieuse.

Clientélisme et aspirateur de retraités

Une question vient à l’esprit : pourquoi Ferdinand Bernhard, amateur de pratiques plus autoritaires que démocratiques, est-il réélu à la tête de la commune depuis 27 ans ? Pour Claude Escarguel, le maire s’assure de caresser dans le sens du poil les nouveaux venus à Sanary-sur-Mer : “avec les Floralies (expositions horticoles), il a créé un véritable aspirateur pour attirer le type de population qu’il recherche, à savoir plutôt aisé et retraité. Il les accueille et les bichonne dans son association des nouveaux venus à Sanary. C’est vrai que quand vous découvrez la commune, vous ne pouvez que tomber sous le charme. À chaque élection, il perdrait des voix, car ces gens-là finissent par entrer dans l’opposition au bout de 10 ans. Mais entre temps, d’autres nouveaux sont arrivés”. Pour Olivier Thomas, opposant actuel, le maire s’assure aussi le soutien des nombreuses familles dans la ville, au vu des “arbres généalogiques” présents dans le service public, “le système est bloqué. La ville est dirigée par un système clanique avec des familles entières qui travaillent à la mairie ou à la police municipale. Ces gens-là ne vont pas couper la main qui les nourrit. Il y a un vrai manque de discernement sur ce qu’il se passe dans cette commune. Je me suis entendu dire pendant la campagne de 2014 : il fait beau, le soleil brille, les cigales chantent et il y a des bateaux dans le port…Tout ça, c’est grâce au maire !”

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