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Paquet de cigarettes à 10 euros : une issue inévitable ?

© AFP / THOMAS SAMSON

Alors que le Gouvernement, depuis 2012, s’est toujours refusé à une hausse significative du prix du tabac, la ministre de la Santé a évoqué cette semaine un paquet de cigarettes à 10 euros “le plus vite possible”. Un revirement qui fait suite aux mauvais chiffres consécutifs sur la consommation de tabac en France.

Un paquet neutre à 10 euros, “le plus vite possible”. C’est ce qu’a déclaré la ministre de la Santé Marisol Touraine au micro de RTL, favorable à “une augmentation forte et significative du prix du tabac avant la fin du quinquennat”, précisant toutefois que la barrière des 10 euros ne serait pas “à l’horizon de ce quinquennat”.

Un revirement, alors que le Gouvernement, depuis 2012, s’est contenté de hausses de prix proches de 5 %, qui peut s’expliquer par les mauvais chiffres dévoilés ces derniers jours par l’Observatoire des drogues et toxicomanies (OFDT), selon lesquels les ventes de tabac des buralistes ont augmenté en 2015, pour la première fois depuis cinq ans, principalement portées par le tabac à rouler, “financièrement plus intéressant”.

78 000 décès et 120 milliards par an à cause du tabagisme

Une tendance que relevait déjà la Cour des comptes dans son rapport annuel, dont un chapitre faisait le point sur la lutte contre le tabagisme. Alors que l’effort, ces derniers mois, a été concentré notamment sur l’adoption du paquet neutre, la Cour faisait d’une hausse des prix de 10 % le “seuil minimal estimé nécessaire selon l’ensemble des experts pour pouvoir provoquer une baisse durable des ventes”.

En l’état, les hausses timides des prix du tabac semblent plus répondre à “une politique prudente optimisant le rendement financier à la fois pour l’Etat, les industriels et les débitants de tabac”. Au détriment des objectifs affichés de santé publique, alors que le bilan du coût sanitaire du tabac ne cesse d’être revu à la hausse. Le nombre annuel de décès provoqués par le tabac est aujourd’hui évalué à 78 000 et le total des coûts sociaux liés au tabagisme est estimé à 120 milliards d’euros par l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (voir encadré).

Objectif : moins de 20 % de fumeurs quotidiens en 2024

Ce sont ces chiffres, conjugués avec la hausse récente des ventes, qui semblent avoir poussé la ministre à relancer l’idée d’une hausse des prix du tabac et remis au goût du jour l’horizon d’un paquet de cigarettes à 10 euros.

D’autant que le programme national de réduction du tabagisme, présenté le 25 septembre 2014, possède des objectifs ambitieux, comme celui de diminuer de 10 % le nombre de fumeurs quotidiens d’ici 2019 ou de passer à moins de 20 % de fumeurs réguliers en 2024.

Des mesures législatives ont été prises pour amorcer ce mouvement, comme l’interdiction progressive des cigarettes aromatisées (les cigarettes mentholées disparaîtront en mai 2020), l’interdiction de fumer dans les aires de jeux pour enfants ou encore l’interdiction des affichettes publicitaires à l’intérieur des débits de tabac. Ces mesures doivent accompagner la mise en place du paquet neutre mais mettront du temps avant de produire des effets visibles sur la vente et la consommation. D’autant plus que, comme le précise la Cour des comptes, “elles n’ont pas été accompagnées de fortes hausses de prix, à l’incidence plus rapide”.

Diversifier les activités des buralistes

Parmi les premiers concernés, les buralistes sont aussi les premiers à critiquer la mise en place du paquet neutre, tout comme les hausses de prix, faisant planer le spectre d’une hausse du marché parallèle de cigarettes, tant par l’achat légal à l’étranger que par le recours aux produits de contrebande.

Concernant l’achat de cigarettes dans les pays voisins, l’OFDT relève que “les prix en France n’ayant pas évolué en 2015, contrairement à certains pays voisins où ils ont augmenté, et les contrôles aux frontières s’étant renforcés, les achats transfrontaliers semblent s’être stabilisés et même avoir reculé dans certaines zones”.

Reste alors le marché illégal. Sur ce point, la Cour des comptes a regretté l’absence d’étude qui aurait permis d’avoir “des éclairages supplémentaires pourtant indispensables”. En effet, selon les Sages, “les désaccords persistants sur l’intensité du commerce illicite apparaissent comme une difficulté majeure pour mener dans la durée une politique de prix qui contribue efficacement aux objectifs de santé publique”.

En tout état de cause, l’Etat doit participer à diversifier les activités des buralistes pour qu’ils soient moins dépendants des ventes de tabac. Surtout que la Cour des comptes a une nouvelle fois préconisé de revenir sur les aides qui leur sont versées pour compenser la baisse des ventes du tabac. Un système d’aides jugé “généreux, porteur d’effets d’aubaine massifs au profit des débitants les plus prospères et peu incitatif à la diversification des activités”.

Ces observations de la Cour des comptes ont reçu un écho positif du côté de la ministre de la Santé, pour qui elles “contribueront à soutenir cette démarche” de réduction du tabagisme. Après le paquet neutre et quoi qu’en disent les buralistes, d’autres mesures pourraient donc suivre dans les prochains mois sur ce front.

Le prix exorbitant du tabac

Dans un rapport d’octobre 2015, l’Observatoire français des drogues et toxicomanies chiffre à près de 120 milliards d’euros annuels le coût du tabac.

Le coût pour les finances publiques dépasse les recettes perçues tant par la taxation que par les retraites non versées à cause des décès. L’OFDT arrive ainsi à un manque de 16,6 milliards d’euros chaque année dans les caisses de l’Etat.

En plus de ce chiffre, le rapport prend en compte le coût externe du tabagisme. Le coût des vies perdues est calculé à partir de l’âge moyen de décès par conséquences du tabac, à savoir 71 ans, par rapport à la moyenne, en se basant sur le rapport Quinet de 2013 qui évalue à 115 000 euros une année de vie humaine sauvée, pour arriver à un chiffre de près de 65 milliards. Le coût de la perte de qualité de vie des années en mauvaise santé à cause du tabac est estimé à 31,7 milliards d’euros. Enfin, les pertes de production des entreprises qui emploient des personnes malades du tabac est évalué à 8,6 milliards chaque année.

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