Le Lanceur

Les régimes autoritaires utilisent Interpol pour harceler les réfugiés politiques

Entrée du siège d'Interpol à Lyon (AFP PHOTO / JEAN-PHILIPPE KSIAZEK)

En plus de détourner les notices rouges d’Interpol à des fins politiques, certains États autoritaires n’hésitent pas à les utiliser contre des réfugiés politiques. Au mépris de la Constitution de l’organisation, que celle-ci ne parvient pas à faire respecter complètement.

Selon l’article 3 de sa constitution, laquelle date de 1956, Interpol s’interdit toute poursuite à caractère politique. En vertu de son article 2, l’inscrivant dans le respect de “l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme”, l’organisation est également censée veiller à ne pas donner suite aux demandes de notices rouges visant des réfugiés, afin d’assurer la sécurité et la liberté des personnes placées sous ce statut particulier. Ni l’un ni l’autre de ces articles ne sont respectés.

En plus du détournement politique d’Interpol par certains régimes autoritaires, déjà démontré par Le Lanceur, une flopée de notices rouges visant des réfugiés politiques ont été publiées ces dernières années. L’organisation ne semble pas faire preuve de suffisamment de précaution dans ses vérifications. Et se laisse régulièrement abuser, publiant des notices à l’encontre de réfugiés, qui peuvent ainsi être persécutés jusqu’à l’intérieur des États où ils ont trouvé asile.

Il en fut ainsi de Dogan Akhanli l’été dernier. Réfugié en Espagne, cet écrivain turc a été arrêté par la police locale à la suite de l’émission d’une notice rouge à la demande d’Ankara. Les mécanismes de contrôle d’Interpol se sont alors révélés défaillants. Mais il ne s’agit pas d’un cas isolé. Le Conseil de l’Europe en relevait, en avril, une dizaine particulièrement problématiques.

“Éviter que les criminels et les terroristes n’abusent du statut de réfugié”

Le rapport préliminaire à la résolution du Conseil prônant davantage de contrôles quant à l’émission des notices rouges demande une protection ferme des personnes ayant le statut de réfugié. “Les réfugiés méritent la protection spéciale d’Interpol, écrivent ses auteurs, sous la direction de l’eurodéputé allemand Bernd Fabritius. Cette protection spéciale est nécessaire pour protéger les réfugiés des États membres qui abusent des canaux d’Interpol pour persécuter les opposants politiques et autres victimes de poursuites pénales corrompues.”

Mais, jusqu’en 2014, les procédures n’étaient pas adaptées, et ne permettaient pas de remplir cet engagement. En effet, Interpol se contentait d’apposer une mention du statut de réfugié aux notices rouges, le cas échéant. Pas vraiment de quoi refroidir les pays liés à des régimes autoritaires.

Face à ces abus, et pressé par les ONG et l’Europe, Interpol a dû statuer sur la question. Un recueil de pratiques relatives aux articles 2 et 3 a été demandé en 2014, mais il n’a pas été publié. Il serait pourtant utile en tant que jurisprudence quant aux décisions de la commission de contrôle des fichiers (CCF).

Cette protection spéciale est nécessaire pour protéger les réfugiés des États membres qui abusent des canaux d’Interpol pour persécuter les opposants politiques”

 

Des éléments de réforme ont été présentés en 2015. Selon l’ONG Fair Trials, en pointe sur ce sujet, une notice rouge ou une diffusion peut désormais être retirée si le statut de réfugié ou de demandeur d’asile de la personne recherchée est confirmé par le pays d’asile”.

“En règle générale, le traitement d’une notice rouge ou d’une diffusion visant un réfugié n’est pas autorisé si le statut de réfugié ou de demandeur d’asile de l’intéressé a été confirmé par un pays membre d’Interpol et que la notice/diffusion a été demandée par le pays dans lequel cette personne craint de faire l’objet de persécution”, précise Interpol, qui doit par ailleurs assurer l’anonymat du pays d’accueil si ce dernier le requiert.

Cette politique “relative au traitement des demandes concernant les réfugiés a été approuvée en juin 2014 par le comité exécutif d’Interpol, nous indique l’organisation, et approuvée par une large majorité de l’assemblée générale en septembre 2017 dans une résolution”. Résolution qui “établit un équilibre entre le renforcement de la coopération policière internationale et la mise en place de garanties adéquates et efficaces pour protéger les droits des réfugiés”, a déclaré le secrétaire général d’Interpol, Jürgen Stock.

“Les demandeurs d’asile encore plus vulnérables”

Le texte semble pourtant davantage jeter la suspicion sur les personnes ayant le statut de réfugié que les protéger. La résolution est adoptée “pour éviter que les criminels et les terroristes n’abusent du statut de réfugié”, selon les premiers mots du texte. “Éviter que des malfaiteurs et des terroristes ne détournent à leur profit le statut de réfugié”, insiste Interpol auprès du Lanceur.

L’ONG Fair Trials, qui lutte activement contre l’instrumentalisation politique d’Interpol, a vivement critiqué cette réforme. “En réalité, la politique crée un danger très réel de laisser les demandeurs d’asile encore plus vulnérables, écrivait l’ONG dans une lettre adressée à Jürgen Stock. La nouvelle politique encourage les autorités de l’État qui procèdent à la détermination du statut de réfugié à vérifier systématiquement les bases de données d’Interpol, suggérant que les notices rouges et d’autres types d’alertes Interpol pourraient justifier le rejet d’une demande d’asile.”

Le partage d’informations par les canaux d’Interpol sur les demandeurs d’asile compromet également leur sécurité”

 

Interpol a assuré au Lanceur que chaque demande de notice rouge ou de diffusion est évaluée par le secrétariat général”. Et justifie les cas où des réfugiés ont été harcelés en pointant “la réticence des pays à confirmer qu’ils ont accordé le statut de réfugié à une personne”. La résolution encourage donc les pays membres à transmettre à Interpol les “informations relatives au résultat de l’examen de la demande d’asile”.

Une disposition contre-productive et dangereuse, pour Fair Trials. Le partage d’informations par les canaux d’Interpol sur les demandeurs d’asile compromet également leur sécurité”, gronde l’ONG, qui rappelle les conseils du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) de l’ONU en matière de confidentialité des demandes d’asile. “À la lumière des informations faisant état d’assassinats de militants politiques vivant en exil, elle pourrait également exposer certains réfugiés à de graves risques”, tonne l’ONG.

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