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L’Ukraine premier fournisseur de dissidents russes recherchés par Interpol

Vladimir Poutine serrant la main du président ukrainien Petro Porochenko (SERGEI BONDARENKO/AFP PHOTO)

De Kiev à la Crimée, l’Ukraine est devenue le meilleur allié de la Russie dans la poursuite de ses dissidents politiques. Et une terre dangereuse pour ces derniers. Surtout s’ils sont fichés par Interpol, car l’ex-république soviétique est très peu regardante sur les motifs d’émission des notices rouges, et extrade à tour de bras.

Avec une diligence zélée à l’extradition, l’Ukraine est devenue le premier pourvoyeur de la Russie en matière de dissidents politiques fichés par Interpol. “Au cours de l’année écoulée, l’Ukraine a détenu au moins dix personnes que la Russie a inscrites sur la liste rouge d’Interpol”, écrit Halya Coynash, militante ukrainienne des droits de l’homme, dans un rapport du think tank britannique Foreign Policy Center (FPC). La Russie, où Vladimir Poutine utilise les avis d’Interpol pour servir ses intérêts politiques.

Détenu depuis 2014 par les services secrets russes, qui l’accusent de préparation d’actes terroristes, le cinéaste criméen Oleg Sentsov fait partie de ces Ukrainiens pris en grippe par Moscou. Tout comme le dirigeant tatar de Crimée Akhtem Chiygoz ou le journaliste Roman Sushchenko. Halya Coynash souligne “le nombre toujours croissant d’Ukrainiens (…) détenus en Russie ou emprisonnés après des procès politiquement motivés”. Si tous n’ont pas été visés par une notice rouge, la militante pointe la responsabilité d’Interpol : “Dans certains de ces cas, des doutes sérieux apparaissent quant à l’adéquation de la procédure de vérification d’Interpol avant d’ajouter des noms à sa liste.”

“Des notices rouges publiées par l’Azerbaïdjan, l’Ouzbékistan et le Kazakhstan auraient également déclenché les récentes arrestations de journalistes en Ukraine, qui risquent d’être extradés vers des pays où ils pourraient être persécutés”, écrit encore Bruno Min. L’aéroport de Kiev a effectivement été le théâtre de l’arrestation de journalistes placés sur notices rouges par des régimes autoritaires à l’automne. L’ambassade d’Ukraine n’a pas répondu à nos sollicitations sur le sujet. Kiev ne semble pas très regardant sur la nature des notices rouges, ni sur les personnes qu’elles visent. Ou alors est-elle stratégiquement contrainte d’exiler vers les pays d’Asie centrale, et a fortiori vers le géant voisin russe.

Poutine et les “terroristes” de Crimée

Avec l’annexion de la Crimée, Moscou s’est fait une flopée de nouveaux ennemis politiques. Dans la partie occupée par la Russie, le Foreign Policy Center évoque 19 hommes condamnés ou placés en détention provisoire pour une durée indéterminée” pour implication dans une organisation terroriste. À savoir l’organisation islamiste Hizb ut-Tahrir, qui est légale en Ukraine. “La Russie n’a jamais fourni une explication adéquate pour justifier le label terroriste”, écrit le FPC. Si elle prône l’établissement d’un califat sur l’ensemble des pays musulmans, cette organisation refuse la lutte armée.

Au cours de l’année écoulée, l’Ukraine a détenu au moins 10 personnes que la Russie a inscrites sur la liste rouge d’Interpol”

 

Le Tatar russe Ildar Valiev fait partie de ces personnes arrêtées pour appartenance à cette organisation “terroriste”, donc pour Moscou. En mai 2017, il a été détenu à l’aéroport d’Odessa, où il vivait avec sa femme et ses quatre enfants, arrêté le 24 mai par des gardes-frontières, “apparemment parce qu’il avait été inscrit sur la liste rouge d’Interpol, à la demande de la Russie, pour implication dans une organisation terroriste, explique le FPC. Valiev a été libéré par la cour d’appel le 8 juin. Il n’y avait aucun motif de retard puisque la législation ukrainienne interdit expressément l’extradition lorsque des poursuites pénales ne sont pas possibles en Ukraine.”

Interpol “trop crédule”

“Il semble parfois qu’Interpol ait également décidé que les accusations de “terrorisme” ne sont pas politiques et n’ont pas besoin d’être vérifiées”, écrit le FPC. Et de prendre deux exemples. Ruslan Meyriev, avocat de 31 ans originaire d’Ingouchie, a vécu en Crimée jusqu’à l’invasion de la Russie en Ukraine continentale. Alors qu’il est détenu sur la base d’une notice rouge d’Interpol pour des accusations qui concernaient l’encouragement d’un tiers à mener des activités terroristes et à planifier un acte terroriste, des officiers du SBU, les services secrets ukrainiens, le pressent d’avouer des accusations farfelues.

Il faudra que le chef du Mejlis tatar de Crimée et le député ukrainien Refat Chubarov se portent garants pour que sa libération soit validée. Interpol n’a rien trouvé à redire non plus à l’émission d’une notice rouge contre Shakhban Isakov, un père de sept enfants du Daghestan âgé de 41 ans, pour participation à une “formation armée dans un autre pays à des fins qui vont à l’encontre des intérêts de la Fédération de Russie”. Selon KHPG, “il est certain que dans le cas des demandes de la Russie sur des accusations dites de “terrorisme”, l’agence internationale s’est avérée trop crédule”.

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