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Lutte contre la fraude fiscale : Bercy indemnise les sources

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L’administration fiscale française expérimente l’indemnisation des personnes qui apportent des renseignements pour lutter contre l’évasion fiscale à l’international et permettent ainsi au ministère des Finances de récupérer les sommes évadées. Si l’intention est louable en matière de protection des lanceurs d’alerte, la mesure comporte quelques limites.

Faut-il indemniser celles et ceux susceptibles d’aider le ministère des Finances à percevoir l’impôt qui lui échappe ? C’est en tout cas la volonté du décret d’application paru il y a quelques jours au journal officiel, qui découle de la loi dite Sapin II. Pendant deux ans, l’administration fiscale peut décider d’attribuer une indemnisation “à toute personne étrangère aux administrations publiques lui ayant fourni des renseignements ayant amené à la découverte d’un manquement aux règles relatives à la domiciliation en France, à la non-déductibilité des commissions à l’exportation versées aux agents publics, à la répression de l’évasion fiscale internationale et à l’obligation de déclarer les comptes bancaires, contrats de capitalisation et trusts détenus à l’étranger par des résidents de France”. En clair, les personnes susceptibles de dénoncer une triche à l’impôt pourraient se voir attribuer une indemnité dont le montant est décidé par le directeur général des finances publiques sur proposition du directeur de la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF), “par référence aux montants estimés des impôts éludés”.

Far West : la crainte de voir apparaître des “chasseurs de prime”

Ainsi, plus la somme dénoncée est importante, plus l’indemnité est susceptible d’être conséquente. Les pièces qui permettent d’établir l’identité de la personne à l’origine de l’alerte, tout comme la date, le montant et les modalités de versement de l’indemnité seront conservés de manière confidentielle par la direction nationale d’enquêtes fiscale. Selon Dominique Plihon, membre d’Attac France, si cette disposition est un progrès dans le combat mené par de nombreuses ONG pour protéger les lanceurs d’alerte qui, par leurs révélations sur l’évasion ou l’optimisation fiscale, perdraient leur emploi et devraient se défendre devant la justice, ce qui nécessiterai alors une indemnisation financière, elle n’est pas pour autant exempte de toute critique. “Il serait souhaitable que les fonds versés ne soient pas uniquement dépendants du bon vouloir des autorités fiscales pour assurer la protection financière des lanceurs d’alerte. Le danger, ce sont les histoires de chasseurs de prime que l’on voit dans les westerns américains. C’est la pratique du système américain dans lequel si vous faites rentrer de l’argent en dénonçant quelqu’un à l’État, en particulier à l’administration fiscale, vous allez toucher une prime. Ce décret est susceptible d’encourager la dénonciation et la chasse à l’homme. Cette mesure n’est pas sans ambiguïté et peut-être mal utilisée, même si elle peut également aider à lutte contre l’évasion fiscale en permettant de dénoncer ceux qui trichent“.

Montant “discrétionnaire” évalué en interne à Bercy

L’autre question soulevée pour cette expérimentation est celle de l’absence de contrôle par une instance indépendante et extérieure aux services de Bercy. Dominique Plihon évoque à ce titre la solution qui aurait consisté à faire appel à d’autres personnalités pour évaluer les indemnisations. “Je pense qu’il faut un fond dédié, que les indemnisations ne soient pas uniquement discutées au sein de Bercy et qu’elles soient, en revanche, totales pour protéger les lanceurs d’alerte. Une des caractéristiques du lanceur d’alerte, c’est qu’il n’agit pas pour son intérêt personnel ni pour s’enrichir. Le lanceur d’alerte ne cherche pas à avoir une prime, mais à permettre à l’État de recouvrir des fonds qui lui sont soustraits à cause de l’évasion fiscale. Nous allons voir ce que donne ce décret dans son application, mais je pense que le fonds d’indemnisation devrait être géré indépendamment de l’administration fiscale, avec par exemple des magistrats et des représentants de la société civile”. Si le décret s’applique depuis quelques jours et pour une durée de deux ans, seuls les renseignements fournis à l’administration à compter du 1er janvier 2017 peuvent donner lieu à indemnisation. Ainsi, la lanceuse d’alerte Stéphanie Gibaud, qui vit aux minima sociaux plusieurs années après avoir aidé les services de Bercy à comprendre le système d’évasion mis en place par la banque suisse UBS, ne devrait pas bénéficier de la mesure.

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