Le Lanceur

Lydia Guirous, humaine de souche

La première (et seule) fois que j’ai échangé quelques mots avec Lydia Guirous, c’était le 7 janvier 2015, dans les couloirs de Sud Radio. Quelques minutes plus tard, la France entière, sidérée, apprenait l’horreur : le massacre de Charlie Hebdo. Je n’ai pas eu l’occasion de recroiser Lydia Guirous, mais, depuis ce jour-là, chaque fois que je repense à cet attentat – et à ceux qui ont suivi – je revois la jeune femme politique nimbée dans une sorte de halo… Mystères de la mémoire émotionnelle.

De confession musulmane, ses positions sur l’islam et la République sont courageuses et détonnent dans un espace médiatico-politique où foisonne souvent la langue de bois, symptôme principal de la couardise. Invitée aujourd’hui de la matinale Public Sénat–Sud Radio (vidéo ci-dessous), j’ai une fois encore apprécié son franc-parler, son naturel un brin sauvage. Et, pour être tout à fait honnête, cela m’a fait un bien fou – justice immanente ? – après le billet que j’ai publié hier, qui m’a valu des attaques d’une violence que je n’avais encore jamais affrontée. “Populiste”, “mûr pour le Front national”, “pamphlétaire digne de Minute, j’en passe et des plus godwinesques, le pire étant sans doute le procès en légitimité qui m’a été intenté, sur le mode “faut pas te prendre pour Gauchet et Finkielkraut quand même”. Non merci, ça va : je sais que je suis mortel, j’ai déjà demandé à la poussière.

Simplicité et liberté de ton

Ne jamais désespérer : il y a dans notre pays des femmes et des hommes politiques qui osent regarder les problèmes en face, qui les nomment et ont le mérite (de tenter) d’y apporter des solutions novatrices et adaptées. J’ai été surpris, je dois l’avouer, par les nombreuses similitudes entre le discours (et sa forme) de Lydia Guirous et un certain nombre d’idées que je porte et développe depuis longtemps, sur des sujets aussi divers que les syndicats (lycéens, étudiants, de salariés…), le travail, le communautarisme, le renouvellement démocratique, la crise de la représentation – des faux rebelles en passant par les vrais conservateurs –, la remise en cause de l’autorité et de la parole publique ou encore l’inversion pernicieuse des valeurs.

Surpris, au fond, que ces thématiques soient portées avec une telle liberté de ton, une telle simplicité, sans circonvolutions et autres volutes tellement éthérées que l’on finit par s’y noyer. Oui, voilà qui fait du bien et contraste singulièrement avec la sempiternelle expression politique fadasse faite de néologismes stupides et de formules toutes faites (des signes de reconnaissance, en fait), où les lesbiennes deviennent des “militantes féministes” et les Arabes des “minorités visibles de quatrième génération”. Arabe, lesbienne, ouvrier, pauvre, juif, noir, blanc, français, je n’ai aucun mal à prononcer ces mots, aucune honte non plus. Comme le chantait Mama Béa, “Et je suis juive, Et je suis noire, Que l’on m’écrase, Que l’on me morde”.

Les chiens de garde aboient

Que l’on soit d’accord ou pas avec Lydia Guirous, ce n’est pas le sujet : son apport global à la politique française est précieux, car il casse les codes dominants en vigueur et démontre que lorsqu’on a des convictions, qu’on les défend honnêtement et avec une pensée construite, on peut discuter de tout, sur le bon plan, sans se soumettre aux diktats des chiens de garde qui vous contraignent à aboyer à votre tour sur les mêmes fréquences, sous peine d’être définitivement reconduits à la niche. Cou-couche panier, Adieu adieu Soleil cou coupé (on a la Zone qu’on mérite).

On peut discuter de tout, oui. Mais pas avec n’importe qui. Ainsi, pour en revenir à Marcel Gauchet, je souhaiterais conclure en évoquant la fameuse “polémique de Blois”. Édouard Louis, l’auteur d’En finir avec Eddy Bellegueule et le philosophe Geoffroy de Lagasnerie avaient annulé, on s’en souvient, en juillet 2014, leur participation aux “Rendez-vous de l’histoire” consacrés aux “rebelles”.

Motif : la présence de Marcel Gauchet, surtout “rebelle contre les rébellions et les révoltes”, selon les deux intellectuels, qui avaient par ailleurs précisé, dans un texte commun, ne pas vouloir “prendre part à l’une de ces innombrables opérations qui, dans le champ culturel, intellectuel ou médiatique, veulent toujours neutraliser les conflits ou les oppositions, installer une scène où l’on débat, ce qui revient à légitimer les opinions les plus violemment conservatrices et à construire un espace public et politique dans lequel circulent des thématiques, des problématiques et des visions engagées dans un combat contre tout ce qui cherche à affirmer un projet émancipateur et à défendre une inspiration critique”. Que dire de plus ? Tout y est.

Chacun veut sa place

Le plus difficile, pour les non-aguerris – notamment les plus jeunes, toujours prompts à s’enflammer –, est bien de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie, les foyers crépitants et les feux de paille. Ainsi, ceux qui se présentent comme des “rebelles” ne sont souvent que les flammèches dansantes du système dominant, des professionnels encartés de l’indignation, qui piétinent d’impatience en attendant leur poste, tout en accomplissant avez zèle leurs rites initiatiques, parfaitement décrits en 1976 dans Les Barbares de Lavilliers :

“Bourgeois adolescents aux mythes ouvriers

Militants acharnés de ce rêve qui bouge

Qui seraient un beau jour de gauche ou bien rangés

Tricolores et tranquilles, la zone c’était rouge.”

L’indivisible, c’est l’invisible

À l’autre extrémité, il y a les vrais vieux réacs en fin de parcours, bourgeois prenant la pose et distribuant chichement des certificats de rébellion authentique, et, au milieu, les bataillons nourris de la bien-pensance, qui vous crucifient et vous “infascisent” dès que vous sortez des chemins balisés par leurs soins comme autant de petits feux pâles. L’équation est simple : soit l’on sort très vite de cette social-démocratie molle et l’on intègre une part de radicalité dans l’édification de projets de société diamétralement opposés – une vraie gauche contre une vraie droite, pour le dire vite –, soit le Front national continuera de prospérer dans ce grand maelstrom où tout se ressemble et se confond.

Imaginons un second tour en mai 2017 qui verrait Marine Le Pen entre 30 et 40 %. Le soir même, le pays deviendrait ingérable. Les politiques présents sur les plateaux de télé (toujours les mêmes, une carrière politique en France durant quarante-cinq ans en moyenne) ne pourront plus nous refaire le coup des régionales, où tout, absolument tout, devait paraît-il changer… Comme l’écrivait Victor Hugo, “voir, c’est diviser. Qu’est-ce que distinguer ? c’est séparer. Qu’est-ce que distinguer ? c’est voir. Donc : videre est dividere. Et en effet, l’indivisible, c’est l’invisible”.

Mais je ne suis qu’un populiste mortel, bordel.

 


Invitée : Lydia Guirous – Territoires d’infos… par publicsenat

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