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“Non les cosmétiques ne sont pas si dangereux !” Deux chercheuses répondent à Que Choisir

Palette Maquillage

© Haul e Swatch/YouTube

Céline Couteau, maître de conférences en pharmacie industrielle et cosmétologie à  l’université de Nantes, et Laurence Coiffard, professeur en galénique et cosmétologie dans la même université ont critiqué une étude récente de l’UFC-Que Choisir sur la dangerosité des cosmétiques. 

Le Lanceur : Alors que l’enquête de l’UFC- Que Choisir est très alarmiste concernant le danger des cosmétiques, vous vous inscrivez à contre-courant avec votre collègue Laurence Coiffard en publiant un papier critique vis-à-vis de l’étude de Que Choisir. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ?

Céline Couteau : Ce qui nous pousse, c’est que l’on enseigne la cosmétologie à des étudiants de Master qui nous parlent tous les jours d’enquêtes alarmistes. Après il faut que l’on arrive à redresser tout ça dans la tête des étudiants. Dans ce cas l’enquête de l’UFC- Que Choisir mélange tout. Les cosmétiques posent problème depuis l’antiquité jusqu’à l’affaire du talc Morhange. C’est la mort des nourrissons qui ont engendré la première réglementation sur les cosmétiques en 1976 à travers une directive européenne. Ce sont les Français qui sont à l’origine de cette prise de conscience. Avec l’amélioration des technologies, plus on sort la loupe, plus on voit des choses petites. Donc on trouve de nouvelles choses. Mais en utilisant des cosmétiques, on ne se met pas une bombe sur la peau. Quand on lit l’enquête de Que Choisir on à l’impression que les cosmétiques sont hyper toxiques. Dans les faits ce n’est pas ça, et nous le montrons dans notre article.

Le Lanceur : À la fin de votre publication, vous parler des cosmétiques bio. Selon vous, bio, n’est pas forcément synonyme de sain. Expliquez-nous ?

Céline Couteau : Les cosmétiques bio ne sont pas forcément meilleurs sur la santé. Le problème du bio c’est qu’il donne l’impression de laver plus blanc que blanc. Pourtant on est sur des cosmétiques régressifs, qui ressemblent à ceux de la Grèce antique. Dans le bio on retrouve par exemple des allergènes qui sont naturellement présents dans les huiles essentielles. Des allergènes que l’on retrouve dans les listes d’allergènes épinglés par L’UFC-Que Choisir. Mais si dans l’industrie traditionnelle on épingle ces allergènes, le bio d’un point de vue marketing le fait passer en disant qu’ils sont “naturellement présents”. Au final, ils le sont dans les deux cas. On a des diplômes avec des stagiaires qui nous rapportent des anecdotes sur leurs stages. Les sociétés de cosmétiques bio sont les plus petites structures où parfois la réglementation n’est pas connue et où parfois nos stagiaires sont plus qualifiés que le chef d’entreprise sur ces réglementations. Donc rien n’est tout noir ou tout blanc.

Le Lanceur : En critiquant cette étude, vous vous exposez à des critiques sur votre indépendance de chercheur ?

Céline Couteau : On ne reçoit aucune subvention de la part de qui que ce soit. Mais ce qui est sûr, c’est que l’on sait aussi qu’à force de donner des coups de boutoir on va faire mourir notre industrie du cosmétique et l’on aura que des produits chinois dont on a vraiment, et là c’est certain, aucune confiance.

Ci-dessous, Le Lanceur republie l’article de Céline Couteau et Laurence Coiffard, tiré du site The Conversation.


 

Non les cosmétiques ne sont pas si dangereux ! Réponse à Que Choisir

Le 22 février dernier, un certain nombre de journaux ont relayé les résultats d’une étude sur les cosmétiques réalisée par UFC – Que Choisir sur 185 produits vendus pour certains en grandes surfaces, mais également, pour d’autres en pharmacie et parapharmacie. Les titres étaient du type : “Substances toxiques : comment bien choisir ses cosmétiques ?”

Si nous aimons, toutes deux, épingler les petits et gros travers de l’industrie cosmétique et tirer certaines sonnettes d’alarme à bon escient, il n’est pas raisonnable de créer une psychose vis-à-vis des produits dont nous avons tous le plus grand besoin. Une information beaucoup trop alarmiste à notre goût a ainsi été diffusée. Il ne s’agit pas de s’insurger à tout va, mais de s’insurger à juste titre. À force de crier au loup, cela sera sans effet lorsque le loup entrera bel et bien dans la bergerie !

Les molécules “toxiques” en question

Parler d’éléments toxiques en mélangeant allègrement molécules irritantes, allergisantes et perturbateurs endocriniens est un peu léger. On ne placera évidemment pas tout sur le même plan. Nous allons détailler quelques ingrédients incriminés cas par cas.

Cas de la méthylisothiazolinone

Pourquoi ce conservateur reconnu comme étant allergisant est-il autant utilisé actuellement ? Les formes commerciales de ce conservateur (mélange de méthylchloroisothiazolinone (MCI) et de méthylisothiazolinone (MIT) ) (Kathon CG, Euxyl 100) sont utilisées en Europe depuis 1975. Dès cette époque, on déplore un certain nombre de cas d’allergies suite à l’utilisation de produits en contenant. De ce fait et logiquement, l’industrie, pour résoudre ce problème, élimine progressivement ce conservateur de ses formules.

La polémique concernant les parabens survenant, l’industrie, au lieu de démonter une étude dont les biais sont nombreux, opte pour une solution radicale et se hâte de remplacer les parabens (conservateurs pourtant sûrs et efficaces) par ces conservateurs oubliés. Aujourd’hui, on redécouvre ce que l’on savait déjà : la méthylisothiazolinone est susceptible de déclencher, chez certains sujets, des réactions allergiques.

5-Chloro-2-methyl-4-isothiazolin-3-one, la molécule incriminée.
Wikipédia

Nous avons bien conscience qu’il existe sur le marché des produits dits hypoallergéniques qui contiennent de la méthylisothiazolinone (et/ou d’autres allergènes). Il est important de le faire savoir et d’œuvrer à la clarification d’une mention devenue aujourd’hui totalement obsolète.

Cas des perturbateurs endocriniens

Les molécules désignées comme étant des “perturbateurs endocriniens” ou PE (certains conservateurs, de nombreux filtres UV…) sont des molécules qui sont des milliers à des millions de fois moins oestrogéniques que le 17 beta-estradiol que nous synthétisons nous-mêmes dans notre organisme. Les cosmétiques étant des formes topiques, ces molécules après application du produit sur la peau ne se retrouveront pas, à 100 %, loin s’en faut, dans la circulation sanguine. Ce n’est pas pour rien que l’on parle de barrière cutanée dans le cas d’une peau saine. Il est donc curieux d’alerter les consommateurs sur les risques “homéopathiques” liés à l’utilisation d’ingrédients cosmétiques désignés sous le nom de PE alors que l’on ne se soucie aucunement des perturbateurs endocriniens administrés par voie orale (compléments alimentaires, médicaments…). Il est bon de rappeler qu’il n’existe pas de consensus dans le domaine.

En revanche, au sujet des filtres dans les cosmétiques, nous rappelons notre position qui n’a pas variée depuis 2009. Depuis sept ans, nous nous insurgeons, très régulièrement, contre cette mode sans intérêt pour le consommateur, qui consiste à incorporer des filtres UV dans les cosmétiques afin d’argumenter en faveur d’un effet anti-âge alléchant. Par ailleurs, dans de nombreux types de cosmétiques, les filtres UV sont présents dans le but de préserver de la lumière le produit dont la couleur risque de se dégrader.

Cas du phénoxyéthanol

Concernant ce conservateur antimicrobien peu allergisant et peu irritant, des publications ont attiré l’attention sur le fait du métabolisme hépatique et urinaire de celui-ci. Afin de prendre toutes les précautions utiles, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a émis une recommandation concernant le pourcentage d’emploi de ce conservateur.

Les fesses de bébé sont particulièrement sensibles.
Shutterstock

En outre, la peau des fesses des bébés étant une zone où le phénomène de pénétration transdermique peut être important (du fait de l’érythème fessier associé à la macération et à l’occlusion générée par les couches), ce conservateur ne devrait plus être retrouvé dans les produits destinés au siège.

Il est important de noter que l’on parle ici de recommandation et non d’interdiction. Cette recommandation ne concerne que la France puisqu’elle est émise par les autorités de santé françaises. Le Règlement européen (CE) N°1223/2009 modifié, seul applicable dans le domaine cosmétique ne prend pas en compte ces restrictions. Il n’est donc pas étonnant de trouver encore sur le marché des cosmétiques pour le siège contenant du phénoxyéthanol. Les grands groupes étrangers n’ont, bien sûr, aucune obligation de suivre une recommandation franco-française.

Cas de certains tensioactifs pointés du doigt

Lauryl sulfate de sodium et lauryl sulfate d’ammonium sont, en effet, des tensioactifs irritants. Le lauryl sulfate d’ammonium entre dans la composition des shampooings biologiques. Les labels Bio s’opposent en effet à la réaction d’éthoxylation, éthoxylation aboutissant pourtant, dans le cas des tensioactifs, à une amélioration de leur tolérance. Si ces shampooings sont présentés comme particulièrement doux pour le cuir chevelu, il convient de faire un rappel à l’ordre. Sinon, le client désenchanté changera de lui-même de marque de shampooing. À noter leur absence dans les cosmétiques conventionnels.

Le réflexe produit bio, par trop simple

Pourquoi donnerait-on un blanc-seing à une catégorie de cosmétiques alors que l’on sait très bien que ceux-ci ne sont pas irréprochables ? Il n’est que de voir la liste des allergènes présentés sur les emballages (liste parfois plus longue que la liste des ingrédients présents) ou la présence d’alcool quasi systématique.

Pour conclure, précisons que la problématique de cosmétiques efficaces et dénués de toxicité a pris naissance dans les années 1970 avec l’affaire du talc Morhange. Depuis les années 2000 on a vu une véritable peur des ingrédients s’installer. Cette peur est relayée par les consommateurs eux-mêmes et non par les scientifiques. Il convient donc de relativiser les avis en fonction des qualifications de chacun.

Céline Couteau, Maître de conférences en pharmacie industrielle et cosmétologie, Université de Nantes et Laurence Coiffard, Professeur en galénique et cosmétologie, Université de Nantes

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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