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Perturbateurs endocriniens : des députés français préparent une objection

La députée européenne Michèle Rivasi (EELV) © Tim Douet

La députée européenne Michèle Rivasi (EELV) © Tim Douet

L’adoption par la Commission européenne d’une définition controversée des perturbateurs endocriniens (PE) a provoqué début juillet un tollé chez les ONG et dans le monde scientifique. Définition trop restrictive, dérogations trop nombreuses : certains députés français franchissent le pas et veulent faire objection au texte.

 

Alors que le commissaire européen à la santé, Vytenis Andriukaitis, s’est félicité d’avoir posé les jalons du “premier système réglementaire au monde pourvu de critères légalement contraignants, définissant ce qu’est un perturbateur endocrinien”, nombreux sont ceux qui dénoncent la victoire des lobbys industriels. Car, malgré le cadrage juridique attendu sur ces substances, le texte a fait l’objet de vives critiques. Pour Michèle Rivasi, députée européenne EELV, “cette définition est tellement restrictive qu’elle va supprimer trop peu de molécules classées PE”. Conclusion partagée par l’ONG Endocrine Society, plus grand regroupement d’endocrinologues au monde, qui se dit “extrêmement inquiète des critères définis qui ne permettront pas d’identifier tous les PE qui causent actuellement de graves problèmes de santé publique”. Déterminée, la députée écologiste a prévenu qu’elle allait préparer une objection pour le Parlement européen et qu’elle était prête “à porter l’affaire en justice si besoin”.

Les députés français sur l’offensive

Les règlements européens prévoient en effet que les parlementaires puissent émettre des objections aux actes pris par la Commission. À partir du moment où le Parlement reçoit le texte de la navette, il a un délai de trois mois pour poser son veto. Pour que l’objection soit recevable, il faut néanmoins que la majorité absolue des députés la soutiennent, soit 376 élus, tous pays confondus. “Pour le cas des PE, la navette n’est pas encore arrivée au Parlement, précise Maxence Layet, attaché parlementaire de Michèle Rivasi. Dès lors, on peut imaginer que l’objection se fera aux alentours de septembre.” Dans le cas où l’objection viendrait à passer, la définition repartirait alors à la Commission, qui devrait replancher sur le texte. Pour l’heure, nombreux sont les députés français à dire qu’ils soutiendraient une telle objection. Le groupe écologiste, les Socialistes et Démocrates, mais aussi et surtout les députés FN (le groupe français le plus nombreux au Parlement européen) nous ont confirmé qu’ils se joindraient aux objecteurs. “On peut aussi s’attendre à ce que certains libéraux nous rejoignent”, estime Maxence Layet. Les députés européens Les Républicains souhaitent quant à eux attendre une “probable discussion à la rentrée” avant de prendre une décision. Si le groupe n’a pas établi de ligne claire, on peut néanmoins affirmer que l’objection ne fait pas l’unanimité. Françoise Grossetête, vice-présidente du groupe PPE, a ainsi indiqué que si elle n’était pas 100 % satisfaite de la définition, elle saluait tout de même “une avancée qui mérite d’être approfondie”. En effet, pour certains, cette définition est un soulagement, car elle met fin à un vide juridique de très longue date.

La France a capitulé”

 

Il aura fallu des années de procédures pour que les perturbateurs endocriniens aient une définition juridique au niveau européen. “Tout a été fait pour ralentir la machine et créer le doute”, fustige François Veillerette, directeur de l’ONG Générations Futures. Car, depuis 2009, il existe un règlement européen encadrant ces substances. Mais, sans définition précise sur laquelle se baser, le texte était inapplicable. Un vide juridique très critiqué, à la fois par la communauté scientifique et par les élus et les associations. Sommée de rendre une feuille de route comprenant des critères précis dès 2013 afin de combler cette lacune, la Commission européenne n’a rende son ébauche qu’en 2015. Ce retard lui fait écoper – fait rarissime – d’une condamnation du tribunal de l’UE, suite à une plainte soutenue par la France, la Suède et le Danemark notamment. Depuis, la Commission tente de faire entériner son texte sans jamais y parvenir. Pour beaucoup – dont la France, qui s’est opposée à chaque fois aux propositions –, la définition n’allait pas assez loin. En se rangeant aux côtés de l’Allemagne début juillet, elle a débloqué la situation et rendu possible l’adoption d’une définition. Pour Édouard Ferrand, député européen affilié FN, “la France a capitulé”.

Une définition “bancale” sur un sujet complexe

Concrètement, la nouvelle définition sépare les perturbateurs endocriniens aux effets “avérés” de ceux aux effets “présumés”. Une différence primordiale, car seules les substances aux effets “avérés” et dont le mode d’action a été clairement établi pourront faire l’objet d’une interdiction nationale ou européenne. Or, pour beaucoup, le niveau de preuves demandé pour établir un lien de cause à effet est trop élevé, voire irréaliste. Le sujet est ultra-sensible. Les perturbateurs endocriniens sont ces molécules qui dérèglent le système hormonal humain, causant parfois de graves troubles de la santé. Leurs effets négatifs sont bien connus du monde de la recherche. Pour Xavier Coumoul, endocrinologue et membre du Programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens (PNRPE), “il n’y a pas de flou scientifique sur les PE, seulement des flous juridiques”. Mais, “même si la nouvelle définition est bancale, il y en a désormais une. C’est déjà ça”, se réjouit-il. Dans les bouteilles en plastique, les emballages, les jouets, l’alimentation ou même dans l’eau, ces substances chimiques sont omniprésentes dans notre quotidien*. Largement utilisées par les industriels, leur bannissement entraînerait mécaniquement de lourdes pertes financières dans le secteur.

Un “deal politique entre la France et l’Allemagne”

“Cette affaire en dit long sur le lobbying forcené de l’industrie chimique, mais pas que”, selon François Veillerette, pour qui “il y a un aspect politique : la nouvelle donne macronienne a joué un rôle”. Une hypothèse probable quand on sait que les objectifs diplomatiques du nouveau président s’orientent vers un rapprochement du couple franco-allemand, avec la volonté de renforcer l’Union européenne. Car l’Allemagne, fervent défenseur du projet depuis des années, possède une puissante industrie chimique, plutôt hostile aux réglementations dans ce domaine. “On avait discuté avec Nicolas Hulot. On pensait l’avoir convaincu de la dangerosité du texte. Clairement, c’est une histoire qui l’a complètement dépassé, lui et son ministère”, juge le directeur de Générations Futures. Même analyse pour Michèle Rivasi, convaincue d’un “deal politique entre la France et l’Allemagne”.

Autre point sur lequel le texte a fait grincer des dents, les nombreuses dérogations accordées aux pesticides. Particulièrement montrés du doigt, certains de ces agents chimiques utilisent les perturbateurs endocriniens pour éliminer les insectes. “Ils ont mis dans le texte des exemptions sur les pesticides. Ainsi, lorsqu’un pesticide est fabriqué en tant que PE pour les insectes, il ne sera pas considéré comme tel !” s’exclame la députée écologiste. Des exemptions qui peuvent surprendre, sauf lorsque l’on sait que les pesticides, massivement utilisés dans l’agriculture, représentent un levier de productivité fondamental pour le secteur. Pour l’heure, ces dérogations ne sont pas encore adoptées – elles devraient l’être à l’automne. Déçu, le ministre de la Transition écologique a fait savoir que la France avait tout de même réussi à arracher à la Commission un plan de 50 millions d’euros pour financer la rechercher sur les perturbateurs endocriniens. “C’est dérisoire”, estime Michèle Rivasi, avant d’ajouter : “De toute façon, cet argent était déjà dans les tuyaux, ça ne changera rien.”

* On en a aussi trouvé dans les préservatifs (lire ici).

 

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