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Philippe Pascot : “L’opération moralisation, c’est pipeau et complètement démago”

Philippe Pascot, ancien adjoint de Manuel Valls à la mairie d'Évry et ancien conseiller régional d'Ile-de-France, à la Foire du Livre de Brive, le 4 novembre 2016, où il était venu présenter son livre “Pilleurs d'État” © DR

Philippe Pascot, à la Foire du Livre de Brive, le 4 novembre 2016 © DR

Présenté comme l’acte fondateur du quinquennat Macron, le projet de loi de moralisation de la vie publique porté par François Bayrou a, entre autres, fait disparaître l’obligation pour les élus de présenter un casier judiciaire vierge…

Philippe Pascot garde une voix posée. Pourtant, l’empêcheur de magouiller en douce est “fou de rage”. Depuis trois ans, il bataille en faveur d’une loi qui instaurerait l’obligation de présenter un casier judiciaire vierge pour concourir à une élection, comme c’est le cas pour exercer 396 professions en France. Votée par l’unanimité des groupes politiques de l’Assemblée en février dernier, la mesure a été utilisée comme argument de campagne par quasiment tous les candidats à la présidentielle, y compris Emmanuel Macron. Ce qui ne l’a pas empêchée de passer à la trappe lors de la validation du projet de loi de moralisation publique en conseil des ministres.

La disparition de la mesure questionne d’autant plus qu’Emmanuel Macron avait précisé que les candidats investis par son mouvement aux législatives devraient présenter un casier judiciaire vierge. Sur 80 candidats En Marche susceptibles d’être élus députés, seuls deux ont répondu à un e-mail envoyé par Philippe Pascot à propos du casier judiciaire vierge. Les autres ont préféré s’en tenir à un silence prudent. “Ça me fait très peur pour la suite. À partir du moment où ce sont des gens nouveaux, ils risquent d’être facilement manipulables. J’espère que quelques-uns ne vont pas marcher comme des moutons Macronpoursuit celui dont la pétition en faveur du casier vierge a été signée par 152 000 personnes.

Les délits sexuels n’empêcheront pas de se présenter

Plutôt que de contrôler les députés a priori, ces derniers risquent une peine d’inéligibilité de 10 ans maximum en cas de condamnation pour atteinte à la probité (corruption, fraude, favoritisme…).Une forfaiture et un déni de justice” s’insurge Philippe Pascot, puisque “cette loi existe déjà” avec une condamnation de cinq ans maximum. J’en ai été l’initiateur avec quelques amis” précise-t-il. Autre “aberration la plus complète”, les délits sexuels se sont volatilisés du texte. “Monsieur Bayrou estime sans doute que violer, ça n’a aucun rapport avec la fonction d’élu. Je pèse mes mots” ajoute Philippe Pascot, qui souligne tout de même quelques bonnes mesures dans un projet de loi “pipeau et complètement démago”. Si la suppression de la réserve parlementaire, de la Cour de justice de la République et la prévention des conflits d’intérêts sont saluées, ce n’est pas sans réserve.

“Les familles des victimes de l’attentat de Karachi peuvent continuer à pleurer”

Ainsi, avec la suppression de la Cour de justice de la République pour juger les crimes ou délits commis par les membres du gouvernement pendant l’exercice de leur fonction, qu’advient-il des mises en examen d’Édouard Balladur et de François Léotard au sujet de l’affaire Karachi prévue entre la semaine dernière et celle-ci ? “Plus de 15 ans pour obtenir une mise en examen sur ce dossier de rétro commission… Balladur ayant 88 ans, j’ai bien peur que grâce opportunément à cette suppression de la cour de justice, le procès pénal de cette affaire d’État ne soit renvoyé aux calendes grecques ! Cela va arranger beaucoup de monde et les familles des victimes de l’attentat de Karachi peuvent continuer à pleurer” considère Philippe Pascot. Autre “fausse bonne idée”, l’interdiction de trois mandats identiques successifs : les élus pourront sans problème enchaîner “40 mandats successifs plus ou moins différents… Le vrai courage politique aurait été de limiter à 2 ou 3 mandats pour la vie, ce qui aurait bloqué de facto l’engoncement des élus dans l’opulence de leurs mandats”.

“Un coup de peinture sur des murs sales”

La suppression du verrou de Bercy n’a pas non plus été envisagée dans le texte. Alors que la fraude fiscale est évaluée entre 60 et 85 milliards d’euros par an, le verrou de Bercy permet à de gros fraudeurs de ne pas être poursuivis pénalement, puisqu’il faut obligatoirement la signature du ministre de l’Economie et des Finances. “Ils ont repassé un coup de peinture sur des murs sales, ça va faire beau pendant deux semaines, mais les moisissures vont ressortir” estime Philippe Pascot, qui craint aussi que l’interdiction des emplois familiaux à l’Assemblée plutôt qu’une législation sur la réalité effective du travail ne laisse “une place légale aux maîtresses et aux amants”.

L’observatoire de la corruption, lancé en avril 2016 par l’association Contribuables associés, fait également part de sa “déception” sur la disparition du casier judiciaire vierge du texte de François Bayrou. Le responsable éditorial du site de l’observatoire, Roman Bernard, rappelle que le texte devrait être amendé “dans le bon ou dans le mauvais sens”. “Un député de l’Ain par exemple, Damien Abad (LR), propose d’amender le projet pour remettre la réserve parlementaire que le texte prévoit de supprimer. Il peut y avoir beaucoup d’aller-retour entre le Sénat et l’Assemblée, donc nous prenons acte du projet et lorsque la bataille législative commencera, nous allons suivre chaque étape et faire pression” annonce-t-il. Écrit rapidement pour être présenté aux Français avant le second tour des législatives, le texte de moralisation a encore un long chemin à parcourir.

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