Le Lanceur

PPLAAF, le soutien au courage des lanceurs d’alerte en Afrique

Jean-Jacques Lumumba, lanceur d'alerte à la DGFI Bank. © Vincent Fournier

De l’Algérie au Cap, la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF) offre un soutien juridique, moral et financier aux citoyens dont les révélations font trembler les plus hauts dignitaires du continent.

Brutus a été exfiltré. Il a fallu quatre mois de travail intense pour dégoter discrètement passeport et visas et sortir ce lanceur d’alerte et sa famille de son pays. “Il n’est pas le seul lanceur désigné par des noms de code empruntés à la Rome antique, nous protégeons aussi Marc-Aurèle”, glisse dans un sourire Henri Thulliez, l’un des cofondateurs de la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF). Depuis un peu plus d’un an, cet avocat des Droits de l’homme a suivi le pari d’une figure du barreau de Paris – William Bourdon, avocat d’Edward Snowden et d’Antoine Deltour –, celui de “protéger les lanceurs d’alerte, ici en Afrique, le continent où ils prennent le plus de risques et sont le moins protégés”. Basée au Sénégal, l’ONG a été lancée en mars 2017 par des avocats, des militants anticorruption et des journalistes d’investigation. Depuis, elle suit les dossiers d’une douzaine de lanceurs d’alerte, a porté des révélations sur plusieurs grandes affaires et s’active dans une dizaine de pays.

Sans le soutien de la Pplaaf, je crains pour ma vie”

 

“Si je suis libre, c’est grâce à la Pplaaf. Sans leur soutien moral et l’impact médiatique international, je crains pour ma vie.” Lanceur d’alerte en Algérie, Noureddine Tounsi a été “enlevé par la police, la DGSN” en pleine rue à Oran, avant d’être transféré à Alger. “Ils savaient que j’avais des informations sur ce qu’il se passe au niveau du port après la saisie de 700 kilos de cocaïne par la police espagnole”, raconte-t-il. Si l’équipe de la plateforme “préfère judiciariser que médiatiser”, comme l’explique Henri Thulliez, le concours de la presse est souvent déterminant. Lors de l’arrestation de Noureddine Tounsi, la Pplaaf a diffusé un communiqué et réalisé une interview sur RFI : il a été libéré le lendemain. Depuis 2016 – il était alors chef du département commercial de l’entreprise portuaire d’Oran –, la tentation de le discréditer et d’étouffer ses alertes est forte. L’homme a dévoilé à la justice les activités suspectes et les détournements au sein du port d’Oran. Et certains faux dans des facturations seraient liés à l’un des hommes forts du régime, président du Forum des hommes d’affaires, Ali Haddad – “intouchable en Algérie”.

Le lanceur d’alerte se sent également menacé par la puissance du lobby de l’importation des produits frigorifiés et de l’organisme chargé de l’importation des céréales. “Rien que pour cet organisme, il y en a pour 29 millions de dollars de préjudice”, indique-t-il. Licencié, Noureddine Tounsi et ses alertes font tache, surtout quand une loi existe dans son pays depuis 2015 pour protéger les lanceurs d’alerte. Épaulé juridiquement par la PPLAAF, Noureddine Tounsi a gagné ses procès mais, deux ans après ses alertes, il n’est toujours pas protégé. “La justice algérienne n’applique pas la loi et le port me harcèle juridiquement”, confie-t-il. “Ils ne veulent pas que mes plaintes passent en instruction. Ils ont le bras long et la justice est frigide envers mes plaintes contre eux. La PPLAAF, c’est mon seul soutien”, a-t-il assuré au Lanceur.

L’incorruptible Lumumba

Parmi les grandes affaires soulevées par la plateforme en à peine un an, celle des Lumumba Papers. Petit-neveu de l’une des principales figures de l’indépendance du Congo, assassinée en 1961, Jean-Jacques Lumumba est un ancien haut fonctionnaire de la filiale congolaise de la première banque d’Afrique centrale, la BGFI. Les documents fournis sont à l’origine de premières révélations sur les entreprises proches du président Kabila et permettent de montrer l’utilisation de l’argent public pour l’intérêt privé du président”, indique Henri Thulliez. Une enquête menée par plusieurs médias sur la base des Lumumba Papers a révélé que le président mobilisait ses réseaux d’affaires pour faire venir des centaines de bêtes sauvages en cargo depuis la Namibie afin de remplir sa ferme “Espoir”.

Menacé dans son pays, l’incorruptible Jean-Jacques Lumumba est aujourd’hui réfugié en France. “Jean-Jacques a retrouvé du travail, les deux lanceurs en Afrique du Sud aussi et ont gagné en justice”, se félicite Henri Thulliez. Si la plateforme donne la priorité à l’anonymat pour les alertes, certains visages permettent de faire avancer leur combat. “Quand les lanceurs d’alerte décident de passer publics, ils humanisent la lutte contre la corruption et la rendent accessible”, poursuit Henri Thulliez. Autre dossier brûlant qui secoue le pays depuis mars dernier, les Banana Port Papers. À travers des informations de lanceurs d’alerte, la plateforme a révélé que le gouvernement de RDC et l’opérateur portuaire Dubai Port World étaient sur le point de conclure un accord de plusieurs millions de dollars, entaché de corruption, qui permettrait l’enrichissement personnel de dignitaires congolais. Un dossier dont souhaite aujourd’hui se saisir la Commission européenne.


• Henri Thulliez sera présent pour la rencontre Le Lanceur du 20 septembre à Paris, plus d’informations ici.

• Le fondateur de la PPLAAF, William Bourdon, interviendra également lors de la rencontre du 16 octobre à Montreuil, aux côtés du toxicologue André Cicolella.


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