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Provence  : du vin bio sur une ancienne décharge  ? 

La parcelle récemment plantée par Alain Baccino

La parcelle récemment plantée par Alain Baccino

Le président de la chambre d’agriculture du Var a planté des vignes dans une ancienne décharge accueillant des déchets des travaux publics du bâtiment. Vigneron depuis 5 générations, la famille Baccino présente les coteaux comme “argilocalcaire” dans leur domaine biologique du Château de la Tulipe noire.

“On donne l’exemple ou on ne le donne pas.  Si on ne l’avait pas attrapé, il aurait pu mélanger ce raisin qui pousse presque dans le bitume avec le raisin bio du bas de la propriété et y mettre une belle étiquette”. C’est le commentaire d’Erik Tamburi, conseiller municipal “Debout la France” dans la commune de Six-Fours-les-Plages dans le Var. Quelques jours plus tôt, il découvre par le biais de Raymond Lopez, président départemental de l’Union Défense Vie nature, qu’Alain Baccino, président de la chambre d’agriculture du Var et du centre interprofessionnel des Vins de Provence, a planté des vignes sur une parcelle de son terrain pourtant classée espace boisé et considérée comme une décharge de déchets des bâtiments et travaux publics bien avant qu’il n’acquiert le terroir. L’élu décide de signaler l’affaire au tribunal de grande instance de Toulon pour demander deux procès verbaux d’urbanisme ainsi que l’ouverture d’une enquête sur les conditions de cession de ces parcelles.

En 2010, Alain Baccino, vigneron converti en biologique depuis 2007, acquiert auprès de la société  d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) du Var, un terrain à Carqueiranne afin d’y installer une exploitation pour sa fille, celle du Château de la “Tulipe noire”. Dans ce terrain d’un peu plus de 11 hectares acquis pour une somme de 600 000 euros, l’une des deux parcelles d’un hectare chacune serait en réalité un espace boisé protégé. Les deux parcelles avaient également servi de décharge pour des entreprises de bâtiments et de travaux publics (BTP), venues y stocker les déchets de chantiers composés de gravats, de morceaux de bitume, de plastique ou de béton. À l’époque du déversement de déchets, des écologistes de la région étaient venus prendre l’endroit en photo.

La parcelle prise en photo par une association de protection de l’environnement après le déballage des déchets de BTP et avant l’achat du terrain par Alain Baccino.

“Une économie mafieuse s’organise dans le Var entre des entreprises de BTP et certains vignerons”

Cette petite partie de terrain de la famille Baccino qui avait auparavant servi de “décharge” de gravats issus du BTP fait écho à une autre affaire au cœur de l’actualité provençale. Il y a quelques semaines, des arrangements entre les entreprises de BTP et certains vignerons sont révélés par des associations de protection de l’environnement. Plutôt que de payer 10 euros par tonne pour déverser leurs déchets en décharge ou dans une entreprise de recyclage, des camions viennent approcher les vignerons et leur proposent de les payer plutôt 2, 3 ou 5 euros par tonne pour vider les déchets sur leurs terrains. Une opération qui peut s’avérer “gagnant gagnant”  : les vignerons gagnent un peu d’argent et comblent les trous, rehaussent leurs terrains ou enfouissent les gravas sous les cépages, les entreprises de BTP, quant à elles, payent moins cher pour se débarrasser des déchets de leurs chantiers. Si ces matières sont considérées comme “inertes” et donc non toxiques, cette pratique est passible d’amendes et d’un déclassement des exploitations qui bénéficient de l’appellation d’origine contrôlée, le sigle A.O.C. D’autres cas de déversements de ces déchets auraient également lieu dans certaines forêts  : “Pour un type du BTP, c’est une variable d’ajustement dans une période où ils payent cher le gazole, les charges, etc.. S’ils peuvent gagner sur la décharge, ils vont le faire. On s’arrange au coin de la route, on encaisse le black avec les propriétaires des terrains, vignerons ou non. Politiquement, j’interviens pour dire au maire qu’il faudrait encourager l’achat de matériaux recyclés dans les chantiers publics, pour faire vivre les usines de recyclage et permettre de baisser le prix à la réception du déchet. Tant qu’on ne fera pas cela, il y a aura une économie mafieuse, qui s’est organisée chez nous dans le Var” explique Erik Tambury.  “Cette affaire est née de pratiques indélicates d’1% de la profession, ce qui fait quand même plusieurs dizaines de viticulteurs qui sont tombés dans le piège, sur les 3000 en Côtes de Provence. Ce n’est pas le cas de Monsieur Baccino, qui lui, a acheté un terrain qui contenait déjà une décharge. Au lieu de se tenir tranquille et de le dire, il plante des vignes dedans. L’affaire n’est pas illégale, car il n’a pas encore récolté, mais elle est immorale”. 

“Un problème qui vient du BTP”

Pour Alain Baccino, président de la chambre d’agriculture du Var, les accusations contre lui sont graves et insuffisamment fondées  : “On peut planter sur des espaces boisés classés dans la mesure où le sol est plat et propre pour supporter de la vigne. J’ai acheté un terrain et j’ai toutes les garanties dessus. J’ai fait des analyses de sol, comme avant chaque plantation. Elles démontrent que la terre est propre pour porter de la vigne.  Il y a des règles qui sont très strictes, elles valent pour moi autant que pour les autres. Ces règles sont respectées par les organisations et ont été bien décrites par les responsables dont je fais partie”. Selon lui, les décharges de déchets du bâtiment et des travaux publics sont avant tout un problème lié au secteur du BTP  : “pour nous, il y a des règles sur les sols qui sont très claires, surtout sur ceux en AOC. Tout contrevenant à cette règle sera sanctionné et puis c’est tout. Ceux qui m’accusent, je ne crois pas qu’ils rendent service à l’agriculture. Je ne laisserai pas cela sans suite, je ne comprends pas et ne connais pas ni leurs intérêts ni leurs motivations. Je n’aime pas être mis en cause alors que je fais partie de ceux qui défendent le terroir et l’environnement. Je suis vigneron depuis 5 générations sur 60 hectares de vignes, si j’avais fait du mauvais travail et que j’étais un mauvais vigneron, ça se saurait depuis longtemps. S’il y en a bien un qui a défendu le terroir et l’agriculture biologique ici, c’est moi. Avant de porter des accusations, il faut quand même connaître les gens et tout le travail qu’ils ont fait, mais aussi avoir un peu de respect du métier. Ca manque dans cette affaire-là” poursuit Alain Baccino, également président du conseil interprofessionnel des vins de Provence.

“C’est un magnifique terroir ici, la viticulture AOC Côtes de Provence est la plus grande réussite de la viticulture française depuis 20 ans. Évidemment, tous les vignerons ont le souci de leurs terroirs et il est hors de question qu’on les pollue et que l’on fasse n’importe quoi dessus. Il faut faire attention avant de mettre en cause des filières qui sont vertueuses, c’est très délicat et très dangereux de mettre en cause une entreprise sans fondements” précise-t-il. Pour lui, la vigne des parcelles concernées “a deux mois et n’a jamais porté de raisin. Elle pousse sur de la terre et pas sur autre chose. Tout mon domaine est classé en agriculture biologique, cette parcelle, c’est un demi-hectare sur 60”.  Ces parcelles ne seront pas à même de produire du vin avant trois années. Que pourrait donc bien donner un terroir qui mélange bitume, plastique et gravats du BTP  ?

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