Le Lanceur

Vivendi fait payer l’État après la fin d’un avantage fiscal de plusieurs milliards

Vincent Bolloré pour la signature du contrat Bluely avec la ville de Lyon © Tim douet

Alors qu’un rapport d’Oxfam révèle que les entreprises françaises du CAC 40 ont redistribué les deux tiers de leurs bénéfices aux actionnaires depuis 2009, le groupe Vivendi a définitivement fait condamner l’État à payer pour avoir mis fin à une convention fiscale l’exonérant de plusieurs milliards d’euros d’impôts entre 2004 et 2011.

La décision peut surprendre. Alors que Vivendi a bénéficié d’un avantage fiscal de plusieurs milliards d’euros pendant près de huit ans, le groupe a porté plainte lorsque l’Assemblée nationale a décidé de fermer le robinet. Une procédure judiciaire qui s’est avérée payante, puisque le puissant groupe de divertissement a récupéré aux Finances publiques près de 400 millions d’euros. En 2004, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Économie et des Finances, acceptait à la fin du mois d’août la demande du groupe Vivendi d’accéder au “bénéfice mondial consolidé” (BMC). Ce régime fiscal réservé à quelques multinationales françaises est accordé à Vivendi pour une durée de cinq ans avant d’être prolongé pendant trois années de plus. Durant toutes ces années, le groupe sera d’ailleurs le principal bénéficiaire de cette niche fiscale. Selon Philippe Fontfrède, ex-administrateur de la plus grosse fédération de télécoms en France, la Ficome, l’avantage fiscal octroyé à Vivendi représente un total de plus de 4 milliards d’euros. Un chiffre contesté par le groupe qui évoque quant à lui un montant de 3,3 milliards.

Mais quelques mois avant la fin officielle de la convention fiscale conclue entre Bercy et la multinationale, la coupe est pleine : l’Assemblée nationale décide à l’unanimité d’y mettre fin. Jugé inefficace et extrêmement coûteux pour les finances publiques, l’avantage fiscal est abrogé par l’Assemblée nationale au mois de septembre. Une décision qui a du mal à passer chez Vivendi, qui comptait conserver cet avantage jusqu’à la fin de l’année. Dès 2012, le groupe saisit le tribunal administratif de Montreuil pour obtenir les 366 millions d’euros que le groupe n’aurait pas payés si le contrat était parvenu à sa fin. Malgré l’appel du ministère des Finances et des comptes publics, la décision du tribunal de Montreuil en faveur du groupe Vivendi a été entérinée par un arrêt du Conseil d’État et Vivendi se voit restituer 366 millions d’euros.

Le motif “d’intérêt général” jugé “insuffisant”

L’argument principal du ministère de l’Économie et des Finances tenait au coût budgétaire et à l’inefficacité de la mesure. Un motif d’intérêt général jugé “insuffisant” par le Conseil d’État, qui a condamné l’État à verser 3000 euros à Vivendi pour la procédure. Le conseil a considéré que “l’espérance légitime d’obtenir une somme d’argent doit être regardée comme un bien”, un bien défini par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Si l’État a été condamné en justice pour ne pas avoir respecté sa part du contrat, le groupe Vivendi n’aurait pas eu la même inquiétude concernant ses propres engagements, au grand dam de Philippe Fontfrède.

“Le Conseil d’État écrit dans sa décision que l’agrément a été accordé en contrepartie d’engagements auxquels a consenti la société Vivendi, tenant notamment à la réalisation d’investissements, au maintien de l’activité de plusieurs centres d’appels en France ainsi qu’à la création d’emplois sur le territoire national” rappelle Philippe Fontfrède. Le groupe Vivendi se serait engagé à la création “de 2 100 emplois en CDI en France” . Mais pour Philippe Fontfrède, la véracité de ces créations d’emplois n’a jamais été démontrée et l’enquête parlementaire qu’il réclamait pour contrôler les contreparties du contrat n’a jamais vu le jour. Cet ancien des télécoms a passé quatre ans de sa vie à se défendre en justice contre Vivendi-SFR, qui l’a attaqué dans l’optique de faire fermer son blog. Après 22 audiences au tribunal, Vivendi sera finalement déboutée. Une petite victoire pour Philippe Fontfrède, qui a épluché les bilans du groupe et estime que le groupe aurait en réalité détruit plus de 7 000 emplois et que seul 0,5% des 4 milliards d’euros aurait été consacré à la création d’emplois.

Des bénéfices redistribués aux actionnaires

Comme un sombre portrait du capitalisme, l’ONG de lutte contre les inégalités Oxfam vient de publier un rapport accablant : les deux tiers des bénéfices des entreprises du CAC 40 ont été redistribués aux actionnaires sous forme de dividendes entre 2009 et 2016, au détriment des salariés et de l’investissement. Pour l’année 2017, plus de 47 milliards d’euros de dividendes seront reçus par les actionnaires, soit plus de la moitié des profits enregistrés cette année. “On peut se poser la question : quel est le pourcentage d’argent public qui a contribué aux bénéfices de Vivendi pendant toutes ces années ?” s’interroge Philippe Fontfrède.

Par ailleurs, si l’étau judiciaire se resserre autour des activités de Vincent Bolloré, mis en examen pour “corruption” dans le cadre d’une enquête sur l’attribution de concessions portuaires en Afrique de l’Ouest, l’homme d’affaires a récemment fait le choix de sécuriser son contrôle sur le groupe de médias. Avec 19 transactions successives, entre les mois de février et d’avril, Vincent Bolloré a acquis pour 1,5 milliard d’euros d’actions Vivendi, portant sa participation à plus de 24% après avoir décidé de confier la présidence du groupe média à son fils.

 

 

Lire aussi : Philippe Fontfrède, l’homme qui voulait récupérer les milliards des télécoms 

Quitter la version mobile