Le Lanceur

“Absence de tout contrôle” : le tribunal de commerce se réveille sur l’affaire Tapie

Bernard Tapie après une conférence à la chambre du commerce de Liège en septembre 2018 © Emmanuel Dunand / AFP

En présentant deux plans de sauvegarde manifestement irréalisables pour échelonner sa dette de plus de 400 millions d’euros à l’État, Bernard Tapie a retardé d’un an et demi le redressement et la dissolution judiciaires de ses sociétés en France et en Belgique.

“Dévoiement de la procédure” et “absence de tout contrôle”. Le ton du tribunal de commerce de Paris vis-à-vis de Bernard Tapie a manifestement changé. Le 18 janvier, il a décidé de prononcer le redressement judiciaire de la SNC groupe Bernard Tapie et de sa société financière et immobilière. Depuis que la Cour de cassation a ordonné à Bernard Tapie de rembourser les 404 millions d’euros qu’il avait touchés aux termes d’un arbitrage jugé frauduleux, l’homme d’affaires a tenté de faire échelonner sa dette grâce à un plan de sauvegarde. En juin 2017, Le Lanceur décrivait l’affaire comme une “incroyable bienveillance” de la part du tribunal de commerce. Aujourd’hui, l’approbation de ce premier plan fait l’objet d’une information judiciaire pour des soupçons d’escroquerie.

 

Mais qui ne tente rien n’a rien. Ainsi Bernard Tapie a-t-il présenté un second plan de sauvegarde, qui cette fois s’est fait balayer de la main par le tribunal de commerce de Paris : “Le plan numéro deux traduit toujours un dévoiement de la procédure de sauvegarde au bénéfice de M. Tapie”. D’abord, Bernard Tapie n’est pas le gérant de ladite société. D’autre part, une telle procédure est mise en place pour sauvegarder des emplois et pour “assurer la poursuite de l’activité économique”. Or, dans le cas de Bernard Tapie, sa société n’emploie directement aucun salarié et l’activité économique “se résume à la détention et à la jouissance de biens qui sont amenés à être cédés”, écrit le tribunal dans son jugement. Ainsi, la procédure n’aurait même pas pu être possible au départ. “M. Tapie était privé de tout droit sur son patrimoine. Il n’a pas la capacité de présenter seul un plan de sauvegarde, à donner seul des actifs en garantie et à prendre ainsi seul des engagements qui ne sont pas attachés à sa personne, mais qui affectent profondément son patrimoine”, poursuit le tribunal.

 

Le jugement a dû se baser sur les chiffres des plans présentés par Bernard Tapie. Concernant les “actifs tangibles” – 169,8 millions d’euros d’immobiliers, 75,1 millions de placements divers et 90 millions d’euros de participation au capital du quotidien La Provence – le tribunal évoque une “totale incertitude” et pointe “l’absence de tout contrôle”. Et le jugement de s’étonner par exemple que la valeur de participation au quotidien La Provence ait doublé par rapport au premier plan présenté. Et de souligner en parallèle que la “quasi-totalité des biens tangibles sont sous le coup de saisies”, comme la villa Mandala à Saint-Tropez (dans un dossier pénal) ou les comptes bancaires français de la société (sur un volet civil).

En Belgique, les coquilles vides – ou endettées – du groupe Tapie

 

Dans cette affaire, c’est en Belgique que la justice commerciale a commencé à donner le la. Le 21 décembre, le tribunal de l’entreprise de Liège a acté la dissolution judiciaire d’Aircraft Management Services, l’une des sociétés de la holding du groupe Bernard Tapie. Alors que la société n’a plus aucune activité depuis la revente d’un avion en 2015, les époux Tapie avaient demandé par la voix de leur conseil “un délai supplémentaire pour permettre à la société d’adopter une forme hybride de liquidation amiable”. Demande balayée par le tribunal, face à une entreprise “aux fonds propres négatifs depuis plusieurs années”, qui n’a pas plus d’actifs que d’activité.

 

Autre coquille vide dissoute à Liège, la holding belge que Bernard Tapie avait constituée en 2010 pour détenir des participations “dans des sociétés en France, en Belgique et dans plusieurs autres États”. Mais retracer la circulation d’argent dans cette holding s’avère périlleux. “Le tribunal ne peut que constater – ainsi que l’avaient déjà fait les précédentes juridictions appelées à se prononcer – que la situation financière et comptable de la société se caractérise par une circulation de fonds entre différentes sociétés du groupe, d’une manière particulièrement difficile à suivre du fait de l’absence de comptes consolidés et l’opacité entretenue par GBTH”, est-il inscrit dans le jugement consulté par Le Lanceur.

 

L’administrateur payé sur La Provence

L’une des certitudes issues du rapport de l’administrateur provisoire est que par “suite de pertes”, l’actif de la société se trouve en dessous de zéro. C’est peu dire. Selon son rapport, la holding belge est endettée vis-à-vis de la société française du groupe Bernard Tapie à hauteur de 138 millions d’euros. L’administrateur provisoire a d’ailleurs dû faire passer ses honoraires et les frais de sa mission “par des avances de la sous-filiale La Provence”, le quotidien marseillais dont Bernard Tapie est l’actionnaire.

 

Pour l’administrateur, il n’y aurait “aucune mesure raisonnablement susceptible de redresser la situation financière” de la société belge de Bernard Tapie qui, là encore, n’a aucune activité depuis plusieurs années et fait l’objet d’une procédure en faillite. Face à de “nombreuses mesures dilatoires”, le tribunal a ordonné l’exécution du jugement afin que le liquidateur puisse “commencer immédiatement sa mission”.

 

Coup sur coup, les tribunaux commerciaux ont donc décidé de dissoudre les sociétés belges de Bernard Tapie tandis qu’en France ses sociétés seront observées pendant six mois avant de mettre en place leur redressement.  Après vingt-cinq ans d’affaires, le temps judiciaire semble s’accélérer à l’approche du procès qui s’ouvre en mars, dans lequel Bernard Tapie devra répondre des accusations d’escroquerie et de détournement de fonds publics dans l’affaire tentaculaire de la revente d’Adidas via le Crédit Lyonnais.

Quitter la version mobile