Condamné à rembourser les 404 millions d’euros qu’il avait perçus au terme d’un arbitrage jugé frauduleux, Bernard Tapie a obtenu un sursis dans l’affaire qui l’oppose depuis vingt-cinq ans au Crédit Lyonnais : un jugement du tribunal de commerce de Paris lui permet d’étaler sa dette grâce à un plan de remboursement jugé “irréaliste” par les créanciers.
Après vingt-cinq ans d’“affaire”, Bernard Tapie ne semble pas avoir perdu de réflexes lorsqu’il s’agit de gagner du temps. Alors que le point final du combat judiciaire semblait écrit par la Cour de cassation en mai dernier par sa condamnation à rembourser les 404 millions d’euros perçus au terme de l’arbitrage jugé frauduleux dans l’affaire de la revente d’Adidas au Crédit Lyonnais, le tribunal de commerce de Paris lui offre un certain répit. Le 6 juin, il entérinait le plan de remboursement que l’ex-propriétaire de l’OM souhaitait mettre en place. Bernard Tapie ne remboursera donc rien cette année. La première échéance du plan de remboursement (21 millions) est fixée en juin 2018. Il devra ensuite s’acquitter de 42 millions d’euros en 2019, de 63 millions en 2020, 83 millions en 2021 et 2022. La dernière échéance, de 127 millions, est prévue en 2023. Bernard Tapie aura alors 80 ans.
L’entité publique chargée de liquider les actifs du Crédit Lyonnais après sa faillite – le consortium de réalisation (CDR) – regrette vivement la décision du tribunal et dénonce un plan de remboursement “totalement irréaliste”. L’avocat du CDR, maître Jean-Pierre Martel, insiste sur le fait que cette décision “ne garantit en aucun cas le remboursement effectif des 404 millions que doit M. Tapie à l’État depuis 2015, qui, rappelons-le, ont été perçus à la suite d’un arbitrage frauduleux”. Le président du CDR ajoute qu’avec les intérêts et autres frais les sommes dues par Bernard Tapie seraient de près de 470 millions d’euros. “Cela représente près de 10% du produit de l’impôt sur la fortune de 2015 ! Au travers du CDR, c’est l’État français, donc l’ensemble des citoyens qui sont lésés par cette décision”, précise François Lemasson. “Nous continuerons à faire tout ce qui est possible légalement pour obtenir le remboursement de notre créance”, promet-il ensuite.
Un expert de son choix pour des remboursements incertains
Pour Bernard Tapie, il n’était pas question de laisser les experts-comptables désignés par le juge commissaire observer ses comptes et ses biens afin de donner aux créanciers des “garanties” en faveur de son plan échelonné. Ainsi, le jugement du tribunal de commerce de Paris précise que “M. Tapie, ne souhaitant pas poursuivre avec les experts initialement désignés, a sollicité M. Stéphane Cohen, expert-comptable, qui a accepté d’intervenir”. Si le juge commissaire se dit favorable au plan de remboursement présenté par l’expert du cabinet Wingate, il ne manque pas de manifester son regret, celui que “l’ordonnance par laquelle il avait désigné un collège d’experts afin d’évaluer les actifs n’ait pas été suivie d’effets”.
Si le plan de remboursement permet à Bernard Tapie de conserver de nombreux biens immobiliers s’il paye sa dette à chaque échéance, près de 147 millions d’euros sont des actifs qui pourraient “résulter des conséquences de la révision de la procédure d’arbitrage”. En clair, les garanties financières présentées par Bernard Tapie pour obtenir ce plan échelonné sont conditionnées par des décisions de justice qui n’ont pas eu lieu et restent donc largement incertaines. Un autre chiffre pose question, celui des actifs industriels. En décembre 2012, Bernard Tapie faisait l’acquisition, avec Philippe Hersant, du groupe de presse Hersant Médias pour un peu plus de 50 millions d’euros. Alors que le groupe possède des titres en Guadeloupe, Guyane, Polynésie française ou Nouvelle-Calédonie, les seuls titres La Provence et la société Corse Presse sont évalués à une valeur de 47,2 millions d’euros par le cabinet Financial. La valeur de ces deux titres aurait-elle ainsi quasiment doublé en quelques années ? La question mérite d’être posée. Si les créanciers s’inquiètent de ne jamais se voir rembourser l’intégralité de la somme due, Bernard Tapie semble avoir bien gardé à l’esprit que le temps, c’est de l’argent.
Mise à jour le 16/06/2017 : Le parquet de Paris a fait appel du jugement du tribunal de commerce qui permet d’échelonner la dette de Bernard Tapie, selon des sources judiciaires interrogées par le journal Le Monde.