Le Lanceur

Dérives à l’ordre des dentistes: “Au bout du compte c’est le patient et la Sécurité sociale qui payent”

Le rapport accablant de la Cour des comptes sur la gestion de l’ordre des chirurgiens-dentistes a abouti à l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris. L’ordre ne souhaite pas s’exprimer mais minimise, voire nie, les accusations. Le Lanceur s’est entretenu avec Patrick Lefas, le coordinateur de ce rapport.

Montre sertie de diamants, pull en cachemire, séjour en thalasso… La liste des cadeaux octroyés par l’ordre à ses conseillers et à leur famille laisse sans voix. On y croit à peine. Le tout financé par les cotisations payées par 44.000 chirurgiens-dentistes (plus 4.000 retraités). Donc indirectement par les patients et la Sécurité sociale, comme le souligne Patrick Lefas. Entretien.

 

Le Lanceur : Le président de l’ordre national des chirurgiens-dentistes (ONCD), Gilbert Bouteille, est très critique sur le rapport de la Cour des comptes, pointant “une démonstration à charge”. Que répondez-vous ?

Patrick Lefas : Nous avons une phase de contradiction, au cours de laquelle nous avons entendu les arguments de l’ordre. Nos conclusions sont étayées, appuyées sur des pièces comptables. Par exemple, nous avons des traces comptables de l’achat de cette montre offerte par le conseil des Alpes-Maritimes. Nous avons instruit à charge et à décharge. Cette critique n’est pas fondée. Sur le fond, nous avons dit qu’il y a un problème général de gouvernance, de dévoiement, de dérives dans ses missions de service public.

L’ordre dit avoir engagé des réformes…

Il y a une gestion défaillante, dont nous espérons bien sûr qu’elle a été reprise en main. La procédure est longue jusqu’à la publication du rapport, il faut le temps que l’on nous réponde. Et on peut espérer que des réformes aient été mises en œuvre entretemps. Parce qu’une remise en ordre s’impose. Nous y reviendrons d’ailleurs pour vérifier les évolutions. Il faut garder à l’esprit que l’ordre est financé par des cotisations. Lesquelles sont payées par les chirurgiens-dentistes. C’est obligatoire. Au bout du compte, c’est donc le patient et la Sécurité sociale qui payent, car cette dépense représente une charge fixe. Or, ces cotisations n’ont cessé d’augmenter. Alors même que l’ordre dispose d’une trésorerie abondante. Nous disons qu’il faudrait privilégier un plan de baisse des cotisations. Dans un souci de gestion des deniers collectifs.

Les cotisations n’ont cessé d’augmenter, alors même que l’ordre dispose d’une trésorerie abondante”

 

En “presque dix ans et pour les 124 conseils de l’ordre, [la Cour des comptes] n’a relevé que 34 cas de cadeaux”, s’est défendu Gilbert Bouteille. N’est-ce pas déjà trop ? Cette pratique est-elle plus étendue ?

Nous estimons cette pratique très étendue. Nous l’avons systématiquement retrouvée là où nous avons enquêté. Des cadeaux sont faits sur les fonds de l’ordre à des conseillers ou à leur famille. Cela n’a d’ailleurs pas trop été contesté. Nous n’avons évidemment pas les moyens de contrôler tous les conseils, d’ailleurs cela n’aurait pas de sens. Après, nous savons aussi que certains conseils locaux ont une gestion rigoureuse.

D’après l’ordre, la Cour des comptes “fait aussi de la politique”…

Non, nous faisons des contrôles sur place, et sur pièces. Nous passons du temps à entendre les personnes. Il y a une large contradiction. Les ordres sont indépendants du pouvoir politique. Nous ne faisons pas de choix politique. Nous constatons que l’ordre est sorti des missions prévues par la loi, à savoir un rôle de contrôle en matière d’éthique, de déontologie, de formation, de qualité des soins… Ils sont allés sur le terrain revendicatif, qui est dévolu aux syndicats. On ne peut pas dire que l’on fait de la politique. Nous partons des textes et le Code de la santé dit des choses très claires sur les missions de l’ordre.

 

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