Le Lanceur

Exclusif : Paca – Le plan d’Estrosi pour ne pas payer le fidèle de Vauzelle

Pacachute © B-gnet

En mars, Le Lanceur révélait les conditions très avantageuses que le directeur général du comité régional de tourisme Provence-Alpes-Côte d’Azur s’était attribuées en cachette. Bruno James a été licencié et l’affaire est devant la justice. Pour ne pas lui payer d’indemnités, le conseil régional mise sur un précédent. Car, au soleil du Midi, un parachute doré peut en cacher un autre. Nouvelles révélations.

 

Les choses n’ont pas traîné. Le 24 mars, Le Lanceur révélait les éléments de rémunération du directeur du comité régional de tourisme (CRT) Paca : non content de disposer d’un salaire de 11 832,94 euros bruts, celui-ci s’était octroyé en sus un extravagant parachute doré, se taillant une situation digne du secteur privé. De quoi s’assurer une jolie retraite en cas de vent mauvais, sur le compte de l’argent public. Cerise sur le gâteau, Bruno James avait manœuvré des années durant pour protéger son pactole, soustraire ces éléments à l’Inspection générale des services de la Région, et avait fait provisionner 408 981 euros au moment où une nouvelle majorité s’installait autour du LR Christian Estrosi au conseil régional – la question de son maintien à la tête du CRT étant posée de fait par l’alternance chez son autorité de tutelle.

Le 25 mars, lendemain de la publication de notre enquête, le CRT réunissait son conseil d’administration à Marseille. L’ordre du jour de cette réunion convoquée de longue date avait dû être bouleversé pour évoquer le sujet. Lors de la conférence de presse qui a suivi, Renaud Muselier, nouveau président de ce satellite du conseil régional Paca, avait fait face aux questions des journalistes, en l’absence d’un Bruno James s’étant fait porter pâle, dossier médical à l’appui. Dans notre article, nous faisions référence à un précédent scandale intervenu en 2009 au CRT de Bretagne, dans une affaire révélée par Le Canard enchaîné. Mais il semble qu’il n’était pas nécessaire de s’éloigner autant des rivages de la Méditerranée pour trouver un événement similaire.

“J’ai une excellente réputation de probité !”

À l’autre bout du fil, ce 6 avril, la voix balance entre détermination et hésitation. Jean-Marc Coppola n’est “pas-con-tent”. Il tient à le faire savoir au Lanceur : “Ce que vous écrivez est factuel bien sûr, mais les gens ne savent pas faire la différence, nous explique-t-il quelques jours après la publication de nos révélations. Ils font l’amalgame !” Notre interlocuteur, homme fort du PC des Bouches-du-Rhône (et ex-candidat aux municipales en 2014 à Marseille), veille à son image : “Ça a provoqué de l’émoi chez mes amis, notamment à la Région, où j’ai une excellente réputation de probité. Pas qu’une réputation, hein…”

En réalité, ce qui a surtout déplu à Jean-Marc Coppola, c’est que son nom figure dans un même article que celui de Sylvie Andrieux. Les anciens amis politiques de la députée et ex-vice-présidente PS du conseil régional Paca l’évitent comme la peste depuis sa condamnation en mai 2013 (pour détournement de fonds publics à des fins clientélistes, peine confirmée en appel) – et tant pis au passage si la justice a soldé ce dossier en transformant ce qui relevait à l’évidence d’un système en affaire personnelle.

Quoi qu’il en soit, notre interlocuteur, lui, n’en démord pas : il est totalement étranger à ce qu’il convient d’appeler l’affaire James. “J’étais effectivement président mais j’ai écarté les candidatures douteuses, et elles ne manquaient pas pour un tel poste, poursuit-il au téléphone. J’ai passé mon temps à me battre tout au long de ma présidence : la seule chose qui m’intéressait, c’était que ça bosse !” Sans doute. Reste que c’est bien Jean-Marc Coppola qui a recruté Bruno James en avril 2009 alors que rien dans le passé de ce très proche de Vauzelle ne le prédestinait à devenir promoteur en chef du tourisme provençal. Avant de valider quelques semaines plus tard un avenant lui offrant une substantielle augmentation. Des éléments parfaitement factuels. Face à des faits qui sont têtus, et que nous lui rappelons, l’élu communiste est un peu court : “Je ne pouvais pas toujours dire non quand ça venait du cabinet Vauzelle ! tente-t-il de se défendre. Cette fois, je n’avais pas les arguments pour refuser, et ce n’est pas ma faute s’il avait précédemment ce salaire et de nombreux avantages [avant d’être recasé au CRT, Bruno James était directeur de la communication du conseil régional, NdlR] !”

Recasés à tous les étages…

Poussé dans ses retranchements, l’ex-président du CRT va nous faire de curieuses confidences. Il explique d’abord avoir “dû faire le ménage” (sic), dans une formule pleine de sous-entendus, “pour éviter que cette structure ne soit qu’un endroit où on est là pour se servir” (re-sic)… Puis, l’air de rien, Jean-Marc Coppola lâche une petite bombe : “D’ailleurs, il y a eu des précédents !” Et d’évoquer le cas du prédécesseur de James…

Olivier Della Sudda – c’est son nom – était aussi un proche de Michel Vauzelle. Conseiller au cabinet du président, il traverse une période difficile au cours de l’année 2006. Porte d’Aix, au cinquième étage de l’hôtel de région, les heures sont longues. Depuis plusieurs mois, Olivier Della Sudda sent que son patron ne compte plus sur lui. Après huit années de bons et loyaux services, voici le temps de la disgrâce, grand classique de la politique. Pour autant, s’il use ceux qui le servent, Michel Vauzelle n’est pas un ingrat. L’ex-secrétaire général de l’Élysée sous Mitterrand se préoccupe de trouver un point de chute confortable à ses fidèles. Pour régler le cas Della Sudda, le comité régional de tourisme est prié de l’embaucher. Affaire actée en octobre 2006, et contrat paraphé déjà par Jean-Marc Coppola : le CRT a un nouveau directeur général.

Janvier 2009. Le temps est à l’orage entre le président Coppola et Della Sudda, la situation s’est envenimée. Le premier reproche au second sa “gestion autoritaire”, et de diriger la structure sans tenir compte de ses exigences. La rupture est consommée quand le directeur prend position contre son président devant son conseil d’administration, puis lors d’un repas de Noël en présence des personnels. “La structure ne fonctionnait plus, elle était en danger, justifie aujourd’hui celui qui était allié de Vauzelle au sein de la majorité plurielle au conseil régional de Paca. J’ai dû mettre le holà et me battre pour l’empêcher de toucher 230 000 euros de parachute doré qu’il réclamait aux prud’hommes !” L’histoire de ce premier golden parachute était arrivée jusqu’à nos oreilles alors que nous enquêtions sur la situation de Bruno James. Ces dernières semaines, elle a de nouveau circulé dans les couloirs du CRT Paca. Voilà maintenant que Jean-Marc Coppola nous confirme son existence…

Un précédent sur procès-verbal

Ce précédent, un autre “témoin” l’a évoqué sur procès-verbal : convoqué le 5 avril (veille de notre échange avec Jean-Marc Coppola) pour s’expliquer sur ses émoluments et ses petites cachoteries, Bruno James fait face ce jour-là à Renaud Muselier. Entre les deux hommes, dans le huis clos de cette réunion tenue au siège du CRT, l’entretien est tendu. La confiance est rompue, attaque le nouveau président de l’organisme associé du conseil régional devant celui qui est toujours son directeur. Face aux charges qu’il encaisse, l’ami de Vauzelle évoque le précédent Della Sudda pour justifier son avenant tout en dorures. Bruno James l’affirme : il n’a fait qu’un copié-collé, reprenant un des éléments de rémunération de son prédécesseur. En clair, il s’est simplement glissé dans un costume taillé par d’autres… Dans les faits, l’histoire n’est pas exactement celle-ci : James a attendu trois longues années après son arrivée avant de se faire attribuer son parachute – dans un avenant daté du 30 août 2012. Surtout, il l’a caché pendant deux grosses années à son conseil d’administration, avant de le faire valider en catimini, ce que nous avions là encore raconté…

Ces explications ont été visiblement jugées peu convaincantes par Renaud Muselier, si on s’en tient aux suites de cet entretien, une lettre recommandée postée le 8 avril. Si elle n’évoque pas le golden parachute (1), la missive officialise le licenciement de Bruno James pour “faute lourde”.

381 179 euros pour amortir la chute

Le 26 mai, l’affaire James est cette fois évoquée devant les prud’hommes de Marseille. Ce jour-là, le bureau de conciliation se prononce sur une demande de provision. L’ex-directeur, qui a saisi le juge du travail après une vaine tentative de négociation, réclame 76 055,58 euros. S’il est finalement débouté, le contentieux reste à arbitrer sur le fond. À la rentrée, il sera de nouveau question du fameux parachute doré. En effet, on en retrouve la trace dans l’argumentaire déposé par les avocats de Bruno James : ses conseils demandent 381 179 euros (38 027 euros d’indemnité compensatrice de préavis et surtout 343 152 euros au titre d’indemnité contractuelle de licenciement, qui renvoie à l’avenant d’août 2012 dont nous avons révélé l’existence). On note au passage que la facture présentée, si elle est salée, reste dans les clous par rapport aux 408 981 euros que Bruno James avait fait provisionner dans le budget préparatif 2016 pour… “risque structurel”. Évidemment pas un hasard : en clair, pour préparer sa sortie sur un matelas joliment garni, comme nous l’expliquions, après que le vent électoral avait tourné dans le mauvais sens en décembre 2015…

Si le licenciement pour faute lourde de l’homme des meetings de Vauzelle est déclaré abusif, ce sera le jackpot pour celui qui se dit victime d’une chasse aux sorcières. Son plan aura alors fonctionné, même s’il sera sur la fin passé entre les gouttes. En revanche, si les juges le valident, il lui faudra s’assoir sur son beau golden parachute. Du côté du CRT et de son autorité de tutelle, on est décidé à contester jusqu’au bout ces prétentions jugées “faramineuses” : “Compte tenu des combats que j’ai menés et l’image qui est la mienne, attaque Renaud Muselier, ce n’est pas moi qui donnerai 150 000 ou 300 000 euros comme ça, c’est hors de question. J’attends un arbitrage juridique et je paierai ce que les prud’hommes fixeront, rien d’autre.” Dans l’optique de cette bataille devant la justice qui reste à disputer, le précédent glissé par Jean-Marc Coppola à notre oreille pourrait là aussi valoir jurisprudence (2)…

Entre son recrutement en octobre 2006, en provenance du cabinet Vauzelle, et son limogeage le 16 janvier 2009, Olivier Della Sudda avait passé 28 mois à la tête du comité régional de tourisme. Le prédécesseur de Bruno James avait lui aussi contesté devant le juge son limogeage pour faute grave, sans préavis ni indemnité de rupture. En première instance, le conseil des prud’hommes lui avait accordé 245 130,77 euros. Mais l’ancien président communiste n’avait en effet rien lâché : le 14 juin 2011, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait cassé ce jugement, avant que la Cour de cassation ne déboute à son tour Olivier Della Sudda. Au final, l’ex du cabinet Vauzelle avait dû rembourser la provision initialement accordée. Un risque épargné pour le moment à son successeur…

 

  1. Sans doute pour en garder sous le pied, les griefs portent sur la mauvaise gestion du déménagement en cours du CRT, et sur un voyage à l’étranger dont le nouveau président n’a pas été informé.
  2. Comme il pourrait aussi intéresser la chambre régionale des comptes, qui a lancé un audit de l’institution.

 

Quitter la version mobile