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Johnny Hallyday : le flou de l’héritage et l’ombre du Boléro

Johnny Hallyday sur la scène de Bercy en 2006 ©FRED DUFOUR - AFP

Trust américain, bataille familiale sur le terrain judiciaire… La succession de Johnny Hallyday divise la famille et le rôle de l’entité américaine censée récupérer les biens du chanteur agite le spectre des scandales autour des droits des œuvres musicales, dont le plus célèbre, celui du Boléro de Ravel.

La justice a décidé ce vendredi du gel des biens immobiliers de Johnny Hallyday, cédés en totalité à sa femme, Laeticia, via un trust basé aux États-Unis. Un recours qui avait été déposé par les premiers enfants de Johnny, David et Laura. Ils réclamaient aussi un droit de regard sur l’album posthume à paraître mais ont été déboutés de cette demande.

Autre décision, la mise sous séquestre des droits artistiques du chanteur. Autrement dit, les droits générés par le répertoire du chanteur sont inaccessibles pour Laeticia et ses filles. Auteur de quelques chansons, répertoriées à la Sacem, Johnny Hallyday s’est surtout distingué en tant qu’interprète. Dans ce cas, c’est une autre société civile, l’Adami, qui est chargée de redistribuer à ses ayants-droit l’argent qui leur revient de la diffusion de ces titres à la radio, dans un bar ou un restaurant, ainsi que la taxe dite de copie privée qui concerne les supports vierges (CD, clés USB, disques durs…).

Les successions sur les droits d’auteurs, des antécédents douteux

Plus que la bataille judiciaire, qui ne fait que commencer, beaucoup de questions se posent, dont le rôle de ce trust américain. Est-ce une simple histoire de succession, permettant au chanteur de léguer la totalité de ses biens à sa femme puis à ses deux dernières filles, Jade et Joy, alors que la loi française lui interdit de déshériter ses premiers enfants ? Ou une tactique obscure pour renforcer l’opacité autour des flux d’argent importants que va générer son répertoire, même après sa mort ?

Dans l’histoire, une musique résonne avec insistance dès que l’on évoque le flou autour de la question des droits d’auteur. Cette musique, c’est celle composée par Maurice Ravel. Son célèbre Boléro. Décédé sans enfant en 1937, Maurice Ravel laisse un héritage considérable, le Boléro faisant partie des œuvres générant, annuellement, le plus de droits. De son frère à un couple d’infirmiers qui le soignaient jusqu’à la silhouette floue d’un ancien directeur de la Sacem, la propriété des droits d’auteur suit un chemin sinueux. Sans oublier l’intervention, révélée par le scandale des Panama Papers, de sociétés écrans basées dans des paradis fiscaux qui récupèrent une bonne partie des droits.

Un montage offshore mis en place pour faire sortir le patrimoine de Johnny des radars de Bercy”

 

Même si la justice valide le fait que le droit américain s’applique, il y a peu de chance que les droits générés par le catalogue de Johnny Hallyday deviennent une saga telle que celle décrite par nos confrères du Point.

Pour autant, cela instaurerait un premier transfert international d’un argent très majoritairement généré en France. Et si le trust prévoit bien de régler les droits de succession qui seront dus en France, les montages financiers interpellent jusqu’au niveau politique.

Le député du Nord Fabien Roussel a adressé un courrier au ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, mettant en évidence l’apparition de sociétés écrans, basées dans des paradis fiscaux. Pour l’élu communiste, il existe “un montage offshore mis en place pour faire sortir le patrimoine de Johnny des radars de Bercy”.

Une relation mouvementée avec le fisc

Exemple, la société Pimiento, historiquement dirigée par Johnny lui-même, mais qui a fini par tomber entre les mains de la grand-mère de Laeticia, Elyette Boudou (82 ans), qui détient une partie des royalties de l’idole des jeunes, a des filiales au Luxembourg ou aux îles Vierges britanniques.

Le fisc a jugé illégal un montage qui faisait passer les dividendes versés par cette société via le Luxembourg, notamment. Pour le fisc, il y a même eu “abus de droit”, c’est-à-dire volonté délibérée d’échapper à l’impôt, donc majoration du redressement.

En 1975, Johnny avait été condamné par l’administration fiscale à de la prison avec sursis et à rembourser près de 100 millions de francs d’arriérés. Ce n’est que dans les années 1990 qu’il s’est finalement exécuté.

Sans oublier la polémique qu’il a créée en 2006, en demandant la nationalité belge, dégoûté par le poids des impôts, avant de reculer devant l’ampleur du tollé.

Des albums subventionnés par l’argent du contribuable

Un comble quand on sait que son producteur, comme beaucoup d’autres, se sert allègrement dans une enveloppe censée aider les jeunes artistes, pour financer chacun de ses albums… Son producteur, Warner, bénéficie ainsi d’une aide de la SCPP (société regroupant les différents producteurs de musique) pour financer des projets d’album. Un coup de pouce initialement destiné aux jeunes artistes encore méconnus du public et dévoyé par la société dans le but de financer les albums les plus rentables, même si le président de la SCPP assurait, face caméra, compenser une “prise de risque”.

Exemple avec l’album studio De l’Amour, en 2015, de Johnny Hallyday, pour lequel Warner a reçu une subvention de 115.932 euros, à partir d’argent venant des lieux publics qui diffusent de la musique ou de la taxe dite “de copie privée” instaurée sur les supports vierges. Pour le précédent, en 2014, ce même producteur avait été subventionné à hauteur de 215.000 euros… De quoi motiver son client à sortir un nouveau disque chaque année !

Un patrimoine en question

Aujourd’hui encore, il est difficile d’évaluer avec précision la fortune du rockeur. Même si les chiffres avancés à droite ou à gauche divergent, ils donnent un ordre de grandeur de l’argent qui est en jeu dans cette bataille autour de son héritage.

Au cours de sa carrière, Johnny Hallyday est passé par toutes les majors. Sony au début de sa carrière, Universal ensuite, qui détient les droits de plus de 1.000 de ses chansons et lui verse des royalties de l’ordre de 7%. Un joli pactole qui a dépassé les 600.000 euros en 2013. Warner enfin, depuis plus d’une dizaine d’années, producteur avec lequel le chanteur avait signé un contrat très avantageux. Un million d’euros d’avance par album studio, 500.000 euros par album live, des royalties à hauteur de 25% des revenus générés par ses albums et un minimum garanti de 3 millions d’euros par an.

D’après Les Inrocks, les revenus du chanteur pouvaient atteindre 10 millions d’euros par an, en comptant les concerts, qui lui rapportaient 150.000 euros par date sur sa dernière tournée des Vieilles Canailles. Et il en faisait une cinquantaine par an…

S’il ne faut pas oublier ses dettes, qui l’ont notamment obligé à revendre sa propriété de La Lorada à Ramatuelle, la guerre autour de l’héritage de Johnny est avant tout une histoire de gros sous. Et, plus qu’un conflit familial, la justice devra dire si toutes ces rentrées d’argent pourront prendre la direction des États-Unis, au risque de “disparaître des radars du fisc”, comme le craint le député Fabien Roussel. Une crainte renforcée par un système qui se nourrit de toute cette opacité. Sur scène comme en coulisses, les Vieilles Canailles ont la peau dure…

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