Le Lanceur

La justice s’intéresse au train de vie de l’ordre des chirurgiens-dentistes

A dentist (L) treats a patient on September 6, 2013, in Bailleul, northern France. AFP PHOTO / PHILIPPE HUGUEN / AFP / PHILIPPE HUGUEN

Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire visant l’ordre national des chirurgiens-dentistes. Décision qui fait suite aux présomptions de “détournement de fonds privés ou publics”, “abus de confiance” et “corruption” mises en exergue par la Cour des comptes dans un rapport accablant rendu début février.

Une enquête préliminaire visant l’ordre national des chirurgiens-dentistes (ONCD) a été ouverte le 17 février, confirme le parquet de Paris. Une procédure lancée “au vu des dénonciation de la Cour des comptes, dans la foulée de la publication du rapport”. Donc indépendamment de la plainte contre X déposée par Rudyard Bessis au nom de cinq praticiens, le 20 février. Les chirurgiens-dentistes du “Collectif pour l’honneur de la profession”, à l’origine de cette plainte, sont évidemment satisfaits de la tournure des événements. Et toujours très remontés contre l’ordre.

“Nous ne sommes pas surpris [de l’ouverture d’une enquête, NdlR], glisse Alexandre Oiknine. Nous avions déposé plusieurs plaintes avec le syndicat DSI [Dentistes solidaires et indépendants], mais l’ordre nous a éliminés.” En cessation de paiement après de nombreux procès, le syndicat a coulé. “L’ordre nous a harcelés de plaintes, écrivait Alexandre Oiknine au site Le Lanceur fin février. Qu’il gagnait ou qu’il perdait, cela n’avait pas d’importance pour lui car son objectif était de nous ruiner tous et nous faire taire.” “Nous sommes très remontés par rapport à cela, confie aujourd’hui le praticien. Avec la puissance de l’argent, l’ordre s’est attaqué à la liberté d’expression d’un syndicat.”

“Si les gens veulent rester manipulés…”

Le collectif a diffusé son appel “Pour l’honneur de la profession” à des milliers de professionnels et reçu de nombreux retours favorables. Très peu ont pourtant consenti à fournir leurs coordonnées ainsi que le soutien financier demandé pour mener la bataille juridique contre l’ordre à terme. “Nous demandons une participation de 100 euros pour couvrir les frais et n’avons reçu qu’une dizaine de chèques, déplore Alexandre Oiknine. Les gens ont encore peur de se mettre en avant. Cette peur d’un ordre, qui a le pouvoir de les radier, persiste.” Pas de quoi entamer sa détermination pour autant : “Nous faisons ce que nous avons à faire. Après, si les gens veulent rester manipulés, c’est leur problème.”

Selon le collectif, qui soupçonne des collusions, “les syndicats ne bougeront pas”. “Il n’y a pas un seul syndicat qui réagisse, remarque Rudyard Bessis. Ils sont tous mouillés.” La Confédération nationale des syndicats dentaires nous a en tout cas expliqué ne pas communiquer sur le sujet, renvoyant directement vers l’ordre. Lequel reste muré dans son silence. Son service de communication nous répond que ses responsables “ne souhaitent pas s’exprimer sur le sujet”. Nous nous contenterons donc des tentatives de justification écrites – parcellaires – publiées sur son site Internet.

Les conclusions de la Cour des comptes y sont remises en cause, sur le même modèle que dans la partie “Réponses” du rapport de la Cour des comptes. “Le conseil national n’a jamais, sur ses fonds, acheté une montre sertie de diamants”, s’y justifiait l’ordre. Or, cette fameuse montre, “on en a retrouvé la trace dans les Alpes-Maritimes”, indique Patrick Lefas, coordinateur du rapport. France Inter en a même publié la facture.

“Une pratique très étendue”

Dans le magazine mensuel de l’ordre, le président du conseil national lui-même, Gilbert Bouteille, prend la parole. Il dit ne pas partager tous les avis des Sages, “certains relèvent du registre du jugement de valeur, et d’autres, d’une lecture décontextualisée des faits permettant d’asseoir une démonstration à charge”. Pour lui, la Cour des comptes “fait de la politique”, sans davantage étayer ni même expliquer cette accusation. Patrick Lefas dément : “Nous avons instruit à charge et à décharge […] nous faisons des contrôles sur place, et sur pièces.”

L’absence de communication directe est compréhensible tant la défense de l’ordre semble bancale. Au point de voir Gilbert Bouteille plaider la gangrène partielle. “Au total, sur cette période de presque dix ans et pour les 124 conseils de l’ordre, elle n’a relevé que 34 cas de cadeaux”, justifie-t-il. La Cour des comptes n’a évidemment pas enquêté dans chacune des unités. Mais cette pratique, “nous l’avons systématiquement retrouvée là où nous avons enquêté”, assure Patrick Lefas.

Si les Sages soulignent que “certains conseils locaux ont une gestion rigoureuse”, ils savent “cette pratique [l’octroi de cadeaux] très étendue”.

 

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