Le Lanceur

Les indépendants ubérisés tentent de peser face aux plateformes

Manifestation des chauffeurs VTC contre la plateforme Uber, à Paris, le 15 décembre 2016 © AFP PHOTO / ALAIN JOCARD

Après les chauffeurs de VTC, dont les négociations avec Uber se poursuivront à Paris le 15 mars, les coursiers à vélo se mobilisent contre la baisse annoncée de leur rémunération. Des collectifs se montent un peu partout en France, Lyon et Paris en tête d’échappée.

Ubérisation et syndicalisme, deux concepts inconciliables ? Pas si sûr. Partout en France les travailleurs indépendants s’organisent pour peser face aux plateformes. De la création de syndicats VTC aux tentatives de mobilisation des coursiers à vélo, les travailleurs ubérisés veulent faire valoir leur droit à un “salaire décent”. Ce 15 mars devrait d’ailleurs être un temps fort du combat de ces indépendants ubérisés.

Les chauffeurs de VTC se rendront à Paris où une délégation intersyndicale doit poursuivre les discussions entamées en février avec Uber. Au centre des négociations, la commission de 25% prélevée par la plateforme californienne sur leurs prestations. “Nous voulons une revalorisation salariale et tout simplement le droit de travailler à des tarifs dignes”, glisse un chauffeur lyonnais proche du syndicat Unsa-VTC.

Et pour cause. Certains chauffeurs disent gagner 1.100 euros par mois pour 70 heures de travail hebdomadaire. “On va massacrer des gens déjà faibles au nom d’un modèle qui se trouve dans une impasse”, tempête Sayah Baaroun, le président du syndicat Unsa-VTC. Histoire d’accentuer la pression, un chauffeur évoque “une action en justice de 200 à 300 chauffeurs pour requalification en contrat de travail”.

“Déconnexion massive”

Reste que mobiliser des travailleurs indépendants n’est pas aisé, comme le reconnaît Sayah Baaroun. “Beaucoup n’ont pas envie de se mobiliser, ils n’en ont rien à faire parce qu’ils exercent ce métier de manière temporaire, confie-t-il. Au final, les carriéristes ne représentent peut-être qu’un quart des chauffeurs.” Pas de quoi baisser les armes néanmoins pour le syndicaliste, qui se félicite d’être parvenu à interpeller les consciences. “On aura au moins réussi à ce que plus personne ne dise : Uber c’est génial, l’ubérisation c’est mignon”, lâche-t-il.

“C’est encore pire chez les coursiers, leurs contrats de prestation sont truffés de liens de subordination que nous, nous n’avons pas”, raconte un chauffeur au Lanceur.fr. “De plus, ils n’ont pas autant de formalités et d’investissement, donc d’autant moins de barrières à l’entrée”, ajoute cet indépendant qui a décidé de partager son expérience avec les ubérisés du vélo. Fin 2016, des prestataires de Deliveroo à Lyon ont monté un local avec l’idée de s’organiser face à leur donneur d’ordres. Ils ont rédigé une charte des coursiers lyonnais et constitué un noyau communautaire sur les réseaux sociaux.

Leurs contrats de prestation sont truffés de liens de subordination”

 

Les plateformes, lui les connaît par cœur, pour lutter contre elles depuis plus de deux ans maintenant. Jérôme Pimot a été coursier pour à peu près toutes les structures qui ont vu, parfois brièvement, le jour dans l’Hexagone. Il a notamment interpellé les dirigeants de Take Eat Easy après la faillite de la start-up qui a laissé coursiers et restaurateurs sur le carreau sans leur payer les dernières semaines de partenariat. “Les plateformes veulent faire baisser leurs coûts parce qu’elles ne gagnent pas beaucoup sur chaque livraison. Elles sont donc obligées de faire du volume, et pour cela il leur faut beaucoup de coursiers, payés de moins en moins cher.”

Jérôme Pimot et les coursiers lyonnais sont désormais en contact fréquent, comme l’explique Mike, qui roule pour Deliveroo à Lyon. Le 15 mars, place de la République et place des Terreaux, ils matérialiseront leur mouvement de contestation sous forme d’une “déconnexion massive”. L’objectif est autant de mettre dans l’embarras les plateformes en les coupant de personnel disponible que de sensibiliser les coursiers en les invitant à discuter de leurs conditions de travail. Ils essaient de diffuser leur combat pour être suivis par les embryons de mouvement à Nantes, Bordeaux ou Lille.

L’exemple londonien

Les coursiers demandent un gel des recrutements et une revalorisation de leur rémunération, dont les modifications sont pour l’heure unilatérales. Fini les promesses de minimum garanti, de paiement à l’heure, désormais les plateformes ne veulent plus payer qu’à la course. Quant aux bonus attractifs des premiers contrats, ils sont réduits, pour envoi d’un simple mail modifiant les tarifications. “Les plateformes essaient de favoriser les nouveaux contrats”, glisse Jérôme Pimot. Mike évoque une baisse des revenus de l’ordre de “30 à 40% en un an”.

Dans leur charte, les coursiers lyonnais demandent aussi la prise en compte des risques, en termes de pollution par exemple, qu’ils encourent dans un métier où le risque d’accident du travail est fort, comme le soulignait l’inspection générale du travail des transports dès 2004. “Les coursiers veulent le respect des conditions d’autoentrepreneur, notamment la possibilité de refuser une course, ce qui est normal s’ils sont indépendants”, explique Jérôme Pimot. D’après lui, cet embryon de syndicat a déjà eu son petit effet. “À l’approche du 15 mars un bouton “refuser” a fait son apparition sur l’application de Deliveroo”, raconte-t-il. Une petite victoire pour les coursiers, qui réclamaient cette évolution depuis plusieurs mois.

De quoi anticiper l’impact de cette mobilisation avec entrain. “Ça peut être un déclenchement, comme à Londres”, pour Jérôme Pimot. Outre-Manche, les coursiers sont mobilisés depuis l’été dernier. Et en novembre un petit groupe de Camden, au nord de la capitale, a déposé avec l’aide du Syndicat des travailleurs indépendants une requête devant le Central Arbitration Committee, une instance de régulation rattachée au gouvernement, pour demander davantage de droits. Une décision favorable des juges pourrait faire jurisprudence pour les quelque 8.000 coursiers de l’île.

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