Le Lanceur

Pédophilie dans l’Église, une omerta méthodique

L'affiche du téléfilm Le silence des églises diffusé le 10 avril 2016 sur France 2 (Image d'illustration)*

En matière de pédophilie, le silence demeure la règle au sein de l’Église catholique. Et comme l’avait prouvé Le Lanceur au printemps dernier, le discours sur l’évolution des pratiques ne tient pas face aux faits. C’est ce que démontrent, chiffres à l’appui, des journalistes de Mediapart, dans un livre à paraître ce mercredi, et de Cash Investigation, dans une émission diffusée ce mardi soir. Ils ont dénombré 32 cas avérés d’agression sexuelle connus de l’Église mais passés sous silence. La moitié ont eu lieu après l’an 2000.

Beaucoup a déjà été écrit ces derniers mois sur la pédophilie au sein de l’Église catholique, lyonnaise notamment. Le Lanceur a lui-même publié il y a près d’un an une carte des affaires de pédophilie éloquente quant à l’étendue de l’omerta. Mais visiblement la source de scandales n’est pas près de se tarir. Dans un livre à paraître ce mercredi 22 mars intitulé Église, la mécanique du silence (JC Lattès), trois journalistes du collectif WeReport (Daphné Gastaldi, Mathieu Martinière et Mathieu Périsse) ayant collaboré avec Mediapart révèlent de nouveaux cas d’abus sexuels passés sous silence. Dont deux mettent de nouveau en cause le cardinal Barbarin. Avec la rédaction de l’émission Cash Investigation, qui diffuse ce mardi soir sur France 2 un documentaire sur le sujet, ils ont déniché 32 cas de prêtres coupables d’abus sexuels avérés cachés par la hiérarchie ecclésiastique.

Des religieux mis au vert, mutés, mais conservés en poste, trop rarement écartés, et en dernier recours seulement lorsque la pression se fait trop forte. Les cas sont pléthore. On citera pêle-mêle Max de Guibert, muté en 2009 puis mis en examen en 2015, Stéphane Gotoghia, condamné en 2014 pour des agressions sexuelles couvertes par deux évêques, ou encore Pierre Étienne Albert, condamné en 2011 pour 39 agressions sexuelles sur mineurs quand le Vatican était au courant de ses dérives depuis 2007. Les 58 victimes de ce dernier, dont certaines n’ont pu être retenues par la justice pour cause de prescription, en font avec le père Preynat de Sainte-Foy-lès-Lyon (72 victimes déclarées, sept retenues) un des plus grands prédateurs de l’Église française.

Un système d’exfiltration méthodique

D’après Mediapart et Cash Investigation, 25 évêques dont cinq toujours en poste auraient couvert quelque 32 auteurs d’abus sexuels dans l’Église catholique française. Pour un total de 339 victimes avérées. Une “pédophilie industrialisée”, estime Alexandre Dussot, qui témoigne dans Église, la mécanique du silence. Laquelle a été permise par des responsables plus soucieux de la réputation de leur institution que des enfants qui y pénètrent. En laissant des prédateurs connus au contact d’enfants. Des responsables qui ne dénoncent pas à la justice civile, ne mettent même pas en garde les personnes au contact de prêtres condamnés et se cachent derrière les congrégations pour justifier leur inaction. Avec une stratégie systématique de protection des coupables, que Le Lanceur avait mise en lumière.

L’Église évoque des brebis galeuses mais, au vu de sa gestion méthodique, systématique, de mise à l’écart et de protection des prédateurs, elle aussi semble malade. Comme on balaye sous le tapis, les religieux fautifs sont mutés. “La solution géographique”, appellerait-on cela en interne, selon Élise Lucet. Une solution qu’a pu expérimenter Gaston Borges, trouvé au lit avec son filleul à Sens en 2009 et réintégré par l’Église catholique dans le Gers après avoir été condamné. Quant à Bernard Preynat, outre les mutations, ses actes pédophiles lui ont même permis d’être promu doyen de plusieurs paroisses.

Mais ce système d’exfiltration protectrice ne s’arrête pas aux frontières françaises. C’est ainsi que Denis Vadeboncoeur, condamné au Canada, a pu retrouver une paroisse en France et y récidiver. Dans le sens inverse, Mediapart révèle l’histoire de Joannes Rivoire, de la congrégation des Oblats, sous mandat d’arrêt international au Canada pour agressions sexuelles et recasé dans le Vaucluse à son retour en France. Un système qui s’internationalise donc, vers l’Afrique notamment. Pour cela, les congrégations, qui ont des relations un peu partout à travers la planète, constitueraient un relais bien pratique selon Mediapart. Ses journalistes pointent notamment la communauté des Frères de Saint-Jean, basée en Saône-et-Loire. Laquelle aurait fermé un prieuré au Cameroun après des accusations d’agressions sexuelles. L’archevêque local évoque dans une lettre ses pressions sur la justice locale pour que le silence perdure.

De nouvelles affaires Barbarin ?

Mediapart et Cash investigation reviennent aussi là où la parole s’est libérée l’hiver dernier, grâce aux victimes du père Preynat. À Lyon, le cardinal Barbarin avait été visé par une enquête préliminaire pour non-dénonciation d’agressions sexuelles. Enquête classée sans suite l’été dernier. Mais Mediapart affirme qu’outre Bernard Preynat, Jean-Marc Desperon, Guy Gérentet de Saluneaux, Philippe de Morand et Robert M, l’archevêque du premier diocèse de France aurait caché les suspicions concernant Jérôme Billioud. Il aurait surtout maintenu en poste deux prêtres condamnés, l’un pour détention d’images pédopornographiques, l’autre pour agressions sexuelles sur mineurs, d’après Cash Investigation. Tous deux feraient partie des quatre prêtres relevés de leurs fonctions en septembre par le cardinal Barbarin. Cash Investigation a enfin rencontré le père Didier B., condamné en 1992 à Villefranche-sur-Saône pour agression sexuelle sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité. Après sa condamnation puis un passage chez les Petites Sœurs des Pauvres à Clermont-Ferrand, il a été “nommé prêtre auxiliaire à Vaise, dans le 9e arrondissement de Lyon”, écrit Mediapart.

Dans le discours de l’Église, le tournant des années 2000 est censé constituer un point de césure historique. Tournée la page de la gestion silencieuse du XXe siècle. Après l’affaire Pican en Normandie (2001), l’affaire révélée par l’équipe de journalistes de Spotlight dans le diocèse de Boston (2002) et les mesures prises dans la foulée par Rome, le temps du silence aurait été révolu. Or, les révélations de l’année écoulée montrent que l’omerta persiste. Avec cette preuve chiffrée, 16 des 32 cas d’agression sexuelle passés sous silence relevés par Mediapart ont été perpétrés après l’an 2000.

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