Le Lanceur

“Uber, c’est de l’esclavagisme 2.0”

Image du film “Les chauffeurs ne comptent pas pour d’Uber” (campagne de financement participatif d’Actif VTC)

Après l’offensive remarquée de la Sécurité sociale contre Uber, l’association Actif VTC entre dans la mêlée, avec une action collective en justice visant à faire reconnaître les chauffeurs de l’application comme salariés. Pour parvenir à déposer plusieurs centaines de dossiers de travailleurs devant un même tribunal, Actif VTC a lancé début juin une opération de crowdfunding : “Les chauffeurs ne comptent pas pour d’Uber”. L’objectif ? Lever 5 000 euros mais surtout mobiliser l’opinion publique pour encourager les chauffeurs à se défendre, tandis que l’énorme majorité d’entre eux craignent clairement d’être radiés de l’application Uber et de perdre ainsi leur gagne-pain.

Entretien avec Jean-Luc Albert, le président d’Actif VTC, qui tente de mobiliser et de structurer la défense des travailleurs ubérisés.

 

Le Lanceur : Pourquoi mener une “class action” contre Uber ?

Jean-Luc Albert : Les chauffeurs ne peuvent plus accepter de se faire exploiter de cette manière. Le déclencheur a été la baisse des prix d’octobre dernier. Pour rappel, Uber a décidé sans aucune concertation de baisser les prix des courses de 20 %, afin d’accentuer la concurrence face aux taxis.

Au moment de ce changement de tarif, le discours d’Uber était de dire que la baisse des prix entraînerait une augmentation mécanique du volume de clientèle, ce qui maintiendrait le chiffre d’affaires. Mais la réalité est tout autre. Les chauffeurs tentent de multiplier les heures de travail afin de conserver leur rémunération. En parallèle, de plus en plus de chauffeurs arrivent sur le marché, encouragés par la communication d’Uber promettant une activité attractive, accroissant la concurrence plus rapidement que le nombre de courses.

L’argument d’Uber est que chaque chauffeur est libre de travailler avec n’importe quelle application ou à son compte, ce qui fait de la start-up californienne un simple intermédiaire. Or, votre class action tend à prouver qu’il y a bien un lien de subordination entre Uber et les chauffeurs. Quels sont les arguments de votre démonstration ?

La belle réussite d’Uber, qui ne produit pas le service lui-même, se base uniquement sur le travail d’une multitude de petits travailleurs qui ont été floués. La start-up a en effet commencé par vendre du rêve. Elle disait : “Mettez-vous à votre compte, nous vous aidons à devenir votre propre patron, vous allez vite réussir…” Or, la société ne laisse pas le temps aux chauffeurs de développer un vrai business plan.

La baisse des tarifs a contraint les chauffeurs à accumuler les heures pour survivre, les privant du recul nécessaire à une vraie stratégie entrepreneuriale”

Beaucoup de chauffeurs se sont alors endettés, afin d’acheter leur voiture selon des critères fixés par Uber. Ils ne peuvent pas arrêter comme ils le souhaitent. La baisse des tarifs les a contraints à accumuler les heures pour survivre, à s’abrutir dans le travail, sans pouvoir prendre le recul nécessaire à une vraie stratégie entrepreneuriale.

Dépendant de l’application pour vivre, ils doivent se soumettre aux contraintes fixées par Uber. Cette start-up californienne devenue multinationale nous donne des ordres sur la manière de nous habiller et de nous comporter, sur le type de véhicule que nous avons le droit d’utiliser, sur la qualité de service que nous devons fournir et, surtout, sur les prix à pratiquer, comme le ferait n’importe quel patron d’entreprise classique avec ses salariés.

Cette notion de dépendance hiérarchique se complète avec un pouvoir de sanction d’Uber sur ses chauffeurs : nous sommes radiés de l’application dès que la note moyenne de nos clients descend en dessous de 4,5/5 ou que nous exprimons notre mécontentement dans la presse, sans disposer d’aucun droit de réponse. Le lien de subordination est évident, tandis que les cotisations et les investissements sont à notre charge. Uber garde le contrôle de la manne financière tandis que nous assumons tout le travail et les risques inhérents à l’activité. C’est simplement de l’esclavagisme 2.0.

Ce modèle d’application ne concerne pas qu’Uber. Pourquoi viser uniquement cette entreprise ?

Nous souhaitons attaquer le mal à la racine. Uber a créé le mouvement. La multinationale a été la première à baisser les prix et, aujourd’hui encore, elle rythme le marché entier. Au final, les autres applications sont aussi des victimes, obligées de s’aligner sur leurs tarifs. Cependant, cela ne signifie pas que nous nous limitons à l’avenir.

Ma chance est que j’ai à mon compteur 58 ans et 8 ans de métier, j’ai déjà sauvé ma peau”

Pourquoi, à titre personnel, endossez-vous le rôle de porte-parole ?

Ma chance est que j’ai à mon compteur 58 ans et 8 ans de métier. J’ai déjà sauvé ma peau. J’ai un panel de clients composé d’hôtels, de tour-opérateurs, de grandes entreprises, d’agences de mannequins, de photographes… Seulement 10 % de mon chiffre d’affaires dépend aujourd’hui des applications. Uber, en débarquant sur le marché il y a trois à quatre ans, m’a bien bousculé. Mais j’ai une bonne relation avec mes clients, qui m’a permis de tenir un bon volume de courses et de ne pas avoir à baisser mes prix trop fortement. Enfin, je me suis préparé à cette bataille en me déconnectant moi-même d’Uber dès octobre. Je n’ai pas peur.

Combien de dossiers de chauffeurs espérez-vous réunir ?

La class action commence seulement, mais notre objectif est qu’il y ait un minimum de 1 000 chauffeurs sur les 10 000 existants. Cet objectif est ambitieux, étant donné que beaucoup d’entre eux ont peur de perdre leur emploi. En parallèle, le but est de toucher le grand public. Déjà, si chaque utilisateur d’Uber prend conscience de la véritable mécanique de ce service et de son coût humain, nous aurons gagné.

Est-ce pour cette raison que vous menez une campagne de crowdfunding sur le site de Wejustice ?

Tout à fait. Ce site permet de lever des fonds pour couvrir les frais judiciaires. Cependant, nous demandons 5 000 euros. C’est dérisoire, ce n’est pas avec cette somme que nous nous battrons contre Uber, une multinationale de plus de 50 milliards de dollars de chiffre d’affaires, bardée d’avocats. Mais cette recherche de financement participatif permet de faire connaître notre projet au plus grand nombre d’internautes possible. Cela permet de rappeler que ce combat contre Uber est le combat de tous, notamment parce que cette société ne paie aucun impôt en France grâce à un système d’évasion fiscale bien huilé et que l’ubérisation du travail est une lame de fond qui touchera de plus en plus de métiers.

Outre les procédures judiciaires, envisagez-vous en tant qu’association de créer une application, afin de reprendre la main sur la mise en relation entre chauffeurs et clients ?

C’est une vraie question, qui donne à réfléchir. Nous ne nous interdisons pas de le faire. Mais, pour le moment, nous restons focalisés sur notre objectif.

 

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