Le Lanceur

Conférence Le Lanceur à Grenoble : “La passivité est source de corruption”

Raymond Avrillier pour la 2e conférence de rédaction publique Le Lanceur

Après Toulouse, Le Lanceur a tenu sa deuxième conférence de rédaction publique à Grenoble, aux côtés de Raymond Avrillier, qui préfère le terme de “citoyen actif” à celui de lanceur d’alerte. Celui qui a mis au jour le système mis en place par Alain Carignon ou l’affaire des sondages de l’Élysée sous Nicolas Sarkozy défend l’idée de mener des enquêtes d’initiative pour éclairer l’opacité de certaines dépenses publiques.

Quelle est la source de la corruption et des dysfonctionnements de la République ? Pour Raymond Avrillier, la réponse est évidente : la passivité. Des élus, des instances de contrôle, des courants politiques divers, du parquet et, en bout de chaîne, de la presse et des citoyens. Pour la deuxième conférence de rédaction publique du Lanceur, à Grenoble, l’ancien élu écologiste a raconté les “enquêtes citoyennes” auxquelles il a contribué pour illustrer la nécessité de mener des “enquêtes d’initiative” dans une revue journalistique consacrée à l’alerte. Gestion de l’eau à Grenoble, sondages de l’Élysée ou contrats de concession autoroutière de l’État aux sociétés privées, autant d’affaires retentissantes qui ont nécessité un travail collectif de plusieurs années.

“Sur les sondages de l’Élysée, explique-t-il, nous sommes partis de quelques lignes dans un rapport de 2009…” Pour la première fois de l’histoire du pays, Nicolas Sarkozy avait autorisé la Cour des comptes à contrôler les comptes de la présidence de la République. “Philippe Séguin [premier président de la Cour à l’époque, NdlR] rend son rapport, qui est publié dans la presse. Mais, un mois après, personne n’a réagi au détour d’une petite phrase qui indiquait que les dépenses de communication mériteraient de faire l’objet d’appels d’offres un peu plus compétitifs…” Choisissant symboliquement la nuit du 4 août, date de l’abolition des privilèges en 1789, Raymond Avrillier envoya une demande à la présidence de la République : que lui soient communiqués les factures, les commandes, la définition des besoins, les marchés et, bien sûr, les sondages.

Sans réponse, il saisit la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). Malgré l’avis de celle-ci en faveur de la communication des détails de la dépense publique, il fallut aller devant le tribunal administratif. “Le jugement du tribunal administratif de Paris qui ordonne à la présidence de la République de me communiquer l’ensemble des documents demandés est intervenu en février 2012, en pleine campagne présidentielle, ce qui a fait dire qu’il s’agissait d’une action opportuniste d’un opposant à Nicolas Sarkozy, alors qu’en réalité cela faisait trois ans que cela durait”, rappelle Raymond Avrillier. Aucun sondage sur la période 2010-2012 ne lui a été transmis depuis. Ils ont été détruits, pense-t-il. Les Archives nationales lui ont répondu qu’ils n’avaient jamais été enregistrés et la présidence de la République certifie ne pas les détenir.

La boîte à outils du journaliste et du citoyen actif

Ce qui pourrait être intéressant dans votre revue est d’expliquer en fil rouge comment le journaliste a procédé pour accéder aux documents, une sorte de boîte à outils du journaliste et du citoyen actif”, estime Raymond Avrillier, s’offusquant que de nombreux députés et sénateurs ne connaissent pas les démarches pour obtenir des documents et des données publiques que les administrations refusent de communiquer. “Si aujourd’hui les informations sur tous les candidats et les comptes de campagne sont accessibles, c’est grâce à la démarche de la journaliste Mathilde Mathieu, de Mediapart, qui a demandé l’accès aux échanges à la Cada”, souligne-t-il. “Avec un certain nombre de personnes, nous avons fait le choix de dire que notre rôle de citoyen actif ou de représentant d’association ou d’institution est le contrôle de la légalité des actes, et la clarté des dépenses publiques. C’est bien aussi qu’il y ait un pluralisme, que ça tape à gauche et à droite, tant que c’est dans les règles”, poursuit Raymond Avrillier.

Les enquêtes d’initiative qu’il appelle de ses vœux devront être guidées par l’intérêt général, comme la gestion de l’eau entre 1989 et 1997 qu’il a contribué à révéler à Grenoble. Un euro en trop sur une facture, ce qui était le cas avec la Lyonnaise des Eaux, ce n’est pas grand-chose pour un particulier. Mais il faut ensuite multiplier par 20 millions de mètres cubes, ce qui fait 20 millions par an. En clair, vingt-cinq ans de concession au privé avec ce système représentent 500 millions d’euros ! Mais, sur ces dossiers, nos représentants nationaux, toutes tendances politiques confondues, ont autre chose à faire ou se contentent d’une incantation en disant à l’Assemblée que c’est scandaleux, mais pour travailler trois ans sur un tel dossier, il y en a peu, très peu, et aucun journaliste au niveau national ne s’est intéressé à ça”, déplore Raymond Avrillier, avant de mettre en avant les moyens et le temps que nécessite l’enquête.

Le journaliste peut détenir des informations que le citoyen ne peut révéler, car il n’a pas cette prérogative du secret des sources”

 

La revue Le Lanceur pourrait également se faire le relais de certaines révélations, assurant aux lanceurs d’alerte la protection des sources. Dans un autre dossier, celui des contrats de concession des autoroutes, un journaliste de “L’œil du 20 heures” de France 2 a dévoilé une partie du contenu de ces contrats. L’affaire a débuté en avril 2015, lorsque le Gouvernement annonça avoir trouvé un accord avec les sociétés autoroutières. “Personne n’a demandé ce que contenait cet accord, alors, la nuit du 4 août, j’ai fait une demande auprès du ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, pour en avoir une copie”, raconte Raymond Avrillier. Alors que le tribunal administratif a ordonné de communiquer le contrat, l’ordre a été donné d’engager un pourvoi en Cassation devant le Conseil d’État, qui nécessite de régler 5.000 euros de frais d’avocat. “On ne sait pas où en est ce dossier, qui date de septembre 2016… J’ai téléphoné au greffe il y a quelques jours et il n’y a pas d’audience de prévue.”

Lors de cette réunion grenobloise du Lanceur, l’assistance a aussi déploré le silence sur certaines affaires, notamment celles qui ont secoué la ville il y a quelques années. “Le livre que nous avons sorti sur le système de corruption généralisée à Grenoble n’a jamais fait l’objet d’un article dans la presse quotidienne régionale et le journaliste de France 3 qui avait participé à la rédaction a été licencié, explique Raymond Avrillier. D’une certaine manière, ces dossiers auraient mérité une enquête d’initiative de la part des journalistes.” Le référent local de l’association Anticor, Thierry Labelle, se veut cependant optimiste, observant une évolution rapide et dans le bon sens à propos de la corruption. “Les citoyens s’intéressent à ces questions et il se crée une sorte d’alchimie entre les acteurs que sont les journalistes, les citoyens et la justice. La question de l’eau, la presse s’en empare beaucoup plus aujourd’hui”, note-t-il en conclusion. L’échange s’est poursuivi autour d’un verre et de nombreux retours d’expérience des participants sur leurs rapports avec les collectivités.

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Les conférences de rédaction publiques Le Lanceur reprendront en septembre. Pour en organiser une près de chez vous, n’hésitez pas à contacter la rédaction à alerte@lelanceur.fr

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