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Numéro 23 : le CSA désormais seul face à ses responsabilités

Schrameck

©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP Olivier Schrameck, président du CSA.

Après les révélations de Lyon Capitale et du Canard enchaîné sur l’existence d’un pacte d’actionnaires secret réunissant l’oligarque russe Alicher Ousmanov, qui renfloue et dirige de fait la chaîne -aucune décision en assemblée générale ne pouvant être prise sans son aval- et Al-Thani, émir du Qatar jusqu’en 2013, le CSA avait nommé un « rapporteur indépendant » membre du conseil d’Etat, pour tirer l’affaire au clair. Celui-ci vient de rendre son rapport… qui botte en touche.

Le rapporteur du conseil d’Etat laisse le CSA seul face à ses responsabilités, n’entend pas influencer ou prendre une décision qui incombe au régulateur et le fait par conséquent savoir avec la subtilité propre à la plus haute juridiction administrative. Le rapporteur relève ainsi que « la détermination d’un concert et d’un contrôle conjoint (…) est un exercice d’appréciation délicat » et que certaines notions sont « floues ». 

En vérité, rien n’est flou ni délicat à apprécier, surtout pour un conseiller d’Etat ! Tout est même clair comme de l’eau de roche : dès 2012 Lyon Capitale avait dénoncé cette escroquerie avec force et vigueur, avec tous les détails et toutes les preuves : primo, cette chaîne a été offerte à une personne physique désargentée qui a seulement servi de leurre, au nom de « la défense de toutes les diversités », pour les plus grandes sociétés internationales (pour quels intérêts stratégiques, financiers et politiques, cela fera l’objet d’un second livre sur le sujet) ; secundo, la revente était gravée depuis octobre 2013 en toutes lettres dans un pacte d’actionnaires secret, que le CSA a dû réclamer 18 mois à Pascal Houzelot ; tertio, Numéro 23 ne respecte aucune des obligations de son cahier des charges, n’a pas de programmes et pas d’audience, et quarto elle ne paie pas les droits d’auteur.

Conclusion ? Le rapporteur « ne propose pas au CSA de retirer, sur le fondement de l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986, l’autorisation qu’il a accordée, par décision n° 2012-474 du 3 juillet 2012, à la société Diversité TV France ». Il appartient désormais au CSA de suivre, ou non, l’avis du rapporteur dont le travail sera présenté au collège ces prochains jours et en tout état de cause avant la trêve estivale.

Fleur Pellerin se dit à nouveau « choquée »

Le conseil d’Etat ne sera donc en l’espèce d’aucun secours aux huit Sages du quai André-Citroën et on imagine difficilement ceux-ci entériner « ce scandale insensé » et ce « vrai braquage », pour reprendre les mots de Frédéric Mitterrand, dans la torpeur de l’été, au nom de la délicatesse floue ou du flou délicat. Et de toute façon, étude d’impact oblige, ils n’en ont plus la faculté. « Oui, ça me choque », a redit hier Fleur Pellerin, la ministre de la Culture, devant l’association des journalistes médias. Mais à la différence de son prédécesseur au ministère, il est difficile d’accorder le moindre crédit aux propos de la ministre, dont le double langage, de l’affaire Numéro 23 en passant par France Télévisions, l’INA, Radio France et tout dernièrement encore la tragi-comédie du limogeage du directeur des Beaux-Arts, semble être le mode de fonctionnement normal.

Complice de Pascal Houzelot, dont elle partage régulièrement les sorties et les dîners mondains jusqu’à le faire, en février dernier, chevalier des Arts et Lettres, mais aussi du producteur de télévision Pascal Breton, chez lequel elle a passé ses dernières vacances estivales en Corse et qui deviendra, coïncidence, le missi dominici en France du géant américain Netflix (pour sa première série hexagonale, Marseille), elle est en conflit d’intérêt permanent, mais cela ne semble pas gêner le Gouvernement outre mesure, ni a fortiori la ministre, qui, comme Monsieur Jourdain étudiait « la gentilhommerie » semble se délecter d’apprendre jour après jour « la Culture » après avoir ingurgité « le Commerce extérieur » -encore que l’on soit plus proche de Bouvard et Pécuchet, ou de l’Autodidacte de La nausée, lequel se faisait fort d’apprendre le dictionnaire par ordre alphabétique.

Numéro 23 n’a jamais été une chaîne de télé

Si le CSA suit l’avis (ou plutôt le non-avis) du rapporteur, il devra encore donner son agrément à l’opération. L’étude d’impact censée mesurer les conséquences économiques de la revente sur l’équilibre du secteur et sur le pluralisme doit de toute façon être conduite à son terme, probablement jusqu’à la mi-décembre 2015. Car cette étude est elle-même impactée par la relance de nouvelles études concernant LCI et Paris Première, suite à la remise en cause par le Conseil d’Etat des décisions du CSA sur le double refus de leur passage en TNT gratuite, au nom justement de la défense des intérêts de BFM et de Numéro 23…

Là encore, avec la meilleure volonté du monde, on ne voit plus très bien comment le raisonnement initial pourrait tenir : quels intérêts pourrait-on désormais préserver pour Numéro 23, en dehors du pactole promis à ses actionnaires sur le dos des citoyens français ? L’intérêt du public ? Médiamétrie mesure la chaîne à 0% de part d’audience. L’intérêt en terme d’emploi ? La chaîne n’a pratiquement pas de salariés, 4 ou 5 au maximum. La défense de la diversité ? A l’instar de RMC Découverte, Numéro 23, qui diffuse de la téléréalité US bas de gamme vient d’être à nouveau mise en demeure pour non-respect de son cahier des charges, 9% à peine de son temps d’antenne étant consacré à la diversité, la nuit et le dimanche à l’aube (et encore est-ce le décrochage d’une chaîne africaine !). La défense des auteurs français et européens ? Les rares fois où ils ont été sollicités, ils ont dû assigner la chaîne afin d’être payés.

Entre deux voyages en jet privé –Pascal Houzelot a des « projets immobiliers » au Maroc et à Cuba, avec quel argent… c’est une bonne question, quand la chaîne qu’il prétend diriger est en faillite à tous niveaux- le lobbyiste plein d’entrain et d’entregent ne nie plus la réalité mais tente de se défendre mollement en affirmant que le non-respect de tous ses engagements peut certes lui valoir des amendes mais pas un refus d’agrément. Même son de cloche du côté d’Alain Weill. Ce n’est pas tout à fait l’avis des juristes du CSA, et pour cause. De tous les dictionnaires, de Sartre à Flaubert en passant par Molière, on ne retiendra que la définition du plus neutre.

Une escroquerie en bande organisée

Ainsi, à la page 122 du Petit Robert, à la définition du mot « Arnaque », on peut lire : « Escroquerie, vol, artifice, tromperie ». On serait tenté d’ajouter : « en bande organisée ». Il ne tient aujourd’hui qu’au CSA de désorganiser définitivement cette hétéroclite communauté d’intérêts frauduleux –où l’on retrouve, pêle-mêle, un émir qatari et un oligarque russe, les acteurs de Bygmalion, l’ancienne garde rapprochée élyséenne de Nicolas Sarkozy mais aussi quelques socialistes en vogue, des patrons du CAC 40 ou de médias – et de faire souffler un vent de probité par la simple application de la loi. Et ça, c’est comme la TNT : c’est gratuit.

Oui mais… Il y a toujours un « mais ». Au-delà des questions juridiques, Alain Weill multiplie les pressions et les rendez-vous politiques, se démenant comme un beau diable pour que le CSA agrée le plus vite possible la revente de Numéro 23, que le patron de BFM essaie officiellement d’acheter pour la coquette somme de 90 M€, comme cela était officieusement prévu de longue date. Après lui avoir offert RMC Découverte sur un plateau par l’entremise d’un CSA aux ordres, Nicolas Sarkozy attend lui aussi un retour : une aide inconditionnelle de BFM et de RMC pour la campagne présidentielle de 2017, que le patron de NextRadioTV lui aurait, de sources concordantes, déjà promise. Nous nous retrouvons ainsi exactement au même point qu’en 2012, avec des politiques qui tentent d’instrumentaliser des médias à leur profit… et des médias qui, au passage, essaient d’en tirer un avantage. Le système « barbichette », dans toute sa splendeur… et dans toute sa misère. Et des journalistes « médias » tétanisés, à l’exception de quelques-uns, qui se reconnaîtront. Comme le disait Edwy Plenel (lire ici), « la France est une démocratie de basse intensité ».

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