Après des mois de procédure contre l’Agence nationale des fréquences radio (ANFR), le lanceur d’alerte Marc Arazi a obtenu la publication de tests alarmants quant aux émissions d’ondes des téléphones portables. Il milite aujourd’hui pour une refonte complète du système de contrôle et de l’encadrement légal.
Après le chien, c’est le meilleur ami de l’homme. Les téléphones portables, que nous trimballons partout, zieutons plusieurs dizaines de fois par jour et conservons sans muselière au creux de notre poche ou de notre main, parfois jusque dans notre sommeil, pourraient-ils nous jouer un mauvais tour ? Au coeur des inquiétudes, les ondes qu’émettent nos chers portables. L’OMS les classe en tant que “cancérogènes possibles pour l’homme”. Faute de recul, l’impact de ces ondes à long terme demeure inconnu. Mais elles doivent tout de même respecter certaines normes.
En France, c’est l’Agence nationale des fréquences radio (ANFR) qui veille à la conformité des produits mis sur le marché. Mais, en 2016, l’agence a refusé de publier toute une série de tests effectués par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Des tests d’émission d’ondes au contact du corps, et non à plusieurs millimètres comme c’est habituellement le cas. Or, lors de ces tests effectués en conditions réelles d’utilisation (on téléphone généralement avec le combiné collé à l’oreille et l’on pianote portable en main), les seuils limites étaient dépassés par une grande majorité d’appareils.
Face à la rétention d’information de l’agence de service public, Marc Arazi a entamé une série de procédures pour obtenir la publication des données. Dont on savait seulement que 89% des modèles testés dépassaient les normes. Certains, très largement. La publication est finalement intervenue au printemps dernier. Le Lanceur avait alors publié la liste des modèles les plus dangereux. Cette “faillite complète du système de contrôle”, dixit Marc Arazi, doit engendrer une prise de conscience et un durcissement de la législation, notamment pour protéger les plus jeunes, estime le lanceur d’alerte.
Entretien avec Marc Arazi
Le Lanceur : Êtes-vous un lanceur d’alerte ?
Marc Arazi : Je veux comprendre, c’est cela ma dynamique. Je voyais bien que quelque chose n’allait pas et voulais surtout que l’ANFR me donne les éléments pour que je puisse comprendre ce qu’il se passait. Au fur et à mesure que j’ai rencontré des résistances de l’autre côté pour ne pas les donner, j’ai compris qu’on était sur quelque chose de complexe. J’ai fait beaucoup de recherches à cette période-là, et les résultats m’ont paru alarmants. Dans la continuité, cela induisait d’alerter les populations. Derrière le lanceur d’alerte, il y a la démarche de médecin de signifier le risque pour qu’il soit connu d’un maximum d’utilisateurs dans le monde. Il y a quelque chose de l’ordre de la santé publique, pour que les personnes comprennent bien ce qu’il se passe. Quand on voit l’évolution depuis un an, on se dit qu’il y a un vrai intérêt pour cette thématique. D’un côté, on a le phonegate, avec une situation de faillite complète du système de contrôle, et dans le même temps l’émergence d’une meilleure visibilité du risque.
L’Agence nationale des fréquences, censée veiller à la conformité des produits commercialisés, a-t-elle failli à sa mission de service public ?
J’ai sollicité la publication des résultats des tests de l’Anses auprès de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). Finalement, ils ont choisi de publier [près d’un an après le premier recours, NdlR] sous la pression et la nécessité de faire la transparence. Mais, au départ, ils n’ont pas respecté la décision de la Cada [qui avait rendu un avis favorable à la publication des documents]. Gilles Brégant [le directeur de l’ANFR] a dit que l’ensemble des rapports seraient publiés au mois de septembre. Mais il n’y a toujours rien. Ils ne sont pas de bonne foi et ne respectent pas l’avis de la Cada. On est dans une situation où une agence nationale décide de faire le droit. L’ANFR décide de déroger aux règles de droit. Il y aura le temps des responsabilités et l’ANFR ne pourra pas s’exonérer de ses responsabilités.
Ce sujet du danger potentiel des téléphones portables a également pris de l’ampleur outre-Atlantique, avec d’autres lanceurs d’alerte. Pourtant, l’écho est encore faible…
J’ai rencontré le docteur Annie Sasco, épidémiologiste qui a travaillé pour l’OMS et a été responsable à l’Inserm pendant une dizaine d’années, lors d’un colloque aux Etats-Unis cet été. Elle explique comment les institutions vous ferment les portes lorsque vous cherchez à exprimer un point de vue scientifique différent que celui de l’absence de risque. Soit vous vous pliez, soit vous êtes mis au ban. Au-delà de l’industrie – on le voit bien avec l’ANFR – il y a l’institution. On est dans un système extraordinairement encadré. Pourtant, il y a des gens qui ne vont pas dans le sens de la doxa. Des gens comme Debra Davis, épidémiologiste de renommée mondiale qui a été conseillère de Bill Clinton, ou le professeur Om Gandhi qui a commencé à dire il y a plus de trente ans qu’il y avait un vrai risque, notamment pour les plus jeunes. Je pense aussi au docteur Anthony Miller, qui rappelle l’absence de consensus sur l’absence de risques des ondes et évoque un risque épidémique.
Quel est votre objectif ?
Mon souhait est que l’on harmonise une norme internationale qui ne prête pas à discussion sur la radiation. Aujourd’hui, il y a une norme européenne, sur laquelle 150 pays sont basés et une norme américaine avec 19 pays. Il faut reprendre toutes les normes en prenant tout ce qu’il y a de bon dans la norme européenne et dans la norme américaine, qui est un peu plus restrictive. Pour les tests, il faut tous les faire au contact et allonger la durée d’exposition à 30 minutes, comme dans la norme américaine. Les chiffres que nous avons obtenus avec la norme européenne ne sont pas réalistes. Il va falloir la repenser pour qu’elle devienne réellement protectrice. Si on a un téléphone avec un DAS de 7 watts/kilo [le plafond étant à 2] dans les conditions de test européennes, il va se situer autour de 20 en réalité. Si bien que, là où l’on considère les résultats préoccupants, ils le sont en fait encore plus. Il faudrait aussi abaisser les seuils. Tout cela sera un bon début de réflexion sur l’adulte.
Et pour l’enfant ?
Pour les enfants, il faut repenser complètement la question. L’Anses l’a d’ailleurs reconnu et le préconise assez clairement. L’enjeu est d’autant plus grand que les gamins sont désormais précoces. Il faudrait interdire le téléphone jusqu’à 14 ans et créer une classe intermédiaire à partir de 10 ans pour les parents qui veulent vraiment que leur enfant ait un portable. Mais il faut qu’ils soient informés des risques. Toutes ces modifications passeront par le biais des pouvoirs publics dans les différents pays, pas par des discussions internationales, ni par l’industrie. L’OMS est seulement là pour statuer sur la dangerosité des ondes. Ils ont aussi un autre curseur, celui du niveau de risque. Il faut que l’OMS réfléchisse à revoir son niveau d’alerte.