Doyen de la faculté de sciences sociales et politiques à l’Université libre de Bruxelles, l’universitaire Jean-Michel de Waele est spécialiste des rapports entre sport et politique. Il analyse pour Le Lanceur les conséquences de l’élection d’un nouveau président à la Fifa, qui doit se tenir ce vendredi 26 février à Zurich (Suisse). Entretien.
Le Lanceur : Trouve-t-on parmi les cinq candidats à la présidence de la Fifa un vrai réformateur prêt à révolutionner le système ?
Jean-Michel de Waele : Les cinq candidats sont tous issus du système, donc je reste assez sceptique. La personne qui va arriver au pouvoir va essayer de sauver ce qui peut l’être, plutôt que de réformer un système qui profite à tellement de monde. Le système voudrait que l’on remette en cause bien d’autres choses, comme les droits de télévision ou les droits de transferts. C’est évidemment tout ça qui devrait être repensé. Mais pour l’instant, que ce soit à la Fifa ou dans le sport international, je ne vois rien ni personne qui veuille sortir de ce moule de boîte à faire du fric.
Avec Le Lanceur, nous avons enquêté sur les 27 membres actuels du comité exécutif de la Fifa (lire Le gouvernement noir du football mondial). Sans tenir compte de ceux qui ont été évincés lors du coup de filet du FBI à Zurich le 27 mai 2015, nous relevons que 14 membres sont soupçonnés de corruption ou de conflit d’intérêts. Soit plus de la moitié du comité exécutif encore en place. Le “ménage” a-t-il vraiment commencé à la Fifa ?
Je pense que c’est un début, mais on ne voit les choses que par un bout. Vous ne prenez que les membres du comité exécutif de la Fifa, mais si on se donne la peine de rentrer dans un certain nombre de commissions – et le système Blatter était composé d’un nombre fort important de commissions, avec des personnes qui effectuaient plusieurs voyages par an dans des hôtels de luxe, et qui recevaient des cadeaux au passage –, c’est bien plus large que la moitié du comité exécutif. La corruption touche d’ailleurs plus certains continents que d’autres : les Caraïbes, l’Amérique latine, l’Afrique.
Il y a là un beau paradoxe. Blatter a vendu la démocratisation du football, en disant que c’était la loi de la Fifa, mais bien entendu tout le monde sait que les hommes ne sont pas égaux. Quand vous représentez la fédération de football de Somalie, vous n’avez pas le même pouvoir ou la même capacité de résistance que si vous représentez la fédération de football allemande ou anglaise, qui n’a pas besoin de recevoir 5 000 ballons ou qu’on construise des terrains dans son pays”
C’est intéressant, car l’un des problèmes de la Fifa, c’est que chaque pays possède une voix ou un vote et détient donc un poids politique équivalent. Or, certains États sont plus actifs ou fragiles que d’autres en matière de corruption…
Le système se base sur la multiplication du nombre d’États membres, y compris des États microscopiques, extrêmement pauvres, dans lesquels la corruption est évidemment beaucoup plus facile. On y découvre de l’enrichissement personnel. On construit des terrains, des infrastructures sportives, on se met toutes les personnes de son côté. Il y a là un beau paradoxe.
Blatter a vendu la démocratisation du football, en disant que c’était la loi de la Fifa, mais bien entendu tout le monde sait que les hommes ne sont pas égaux. Quand vous représentez la fédération de football de Somalie, vous n’avez pas le même pouvoir ou la même capacité de résistance que si vous représentez la fédération de football allemande ou anglaise, qui n’a pas besoin de recevoir 5 000 ballons ou qu’on construise des terrains dans son pays.
Quels sont les principaux maux de la Fifa ? Comment en est-on arrivé là ?
Quand on a employé le mot “mafieux”, les spécialistes de la mafia ont aussitôt fait remarquer que c’est un système où il y a un certain nombre de règles, et que sans doute les règles classiques de la mafia ne sont pas applicables à la Fifa. Mais c’est en tout cas un système basé sur la corruption. Les principaux maux sont le fait que le président peut se représenter à vie, qu’il y a une multiplication de petites fédérations très pauvres et enfin que le football s’est mondialisé, globalisé. C’est la pointe avancée de la pensée néolibérale qui a vu le jour depuis le début des années 1990. L’argent s’est déversé à flots, et ça a amené de la corruption.
Plus il y a de l’argent, plus il y a de la corruption ?
Plus il y a de l’argent, plus il y a de la probabilité de corruption, surtout s’il n’y a aucun garde-fou. Aucun des contre-pouvoirs n’a fonctionné, il n’y avait aucun contrôle réel. Et puis, il y a un problème de justice. Il est tout à fait remarquable que ce soit le FBI, dans un pays où le football ne perce pas, qui lance l’assaut, et pas les justices européennes ou latino-américaines. Car, dans le football, les enjeux sont considérables.
Faudrait-il l’équivalent de l’Agence mondiale antidopage (AMA) pour le football ? Une entité extérieure et réellement indépendante pour contrôler la Fifa ?
Évidemment. On ne peut pas laisser le football se gérer seul et décider seul. Il faut bien entendu des organes extérieurs de contrôle. La gouvernance du football ne peut pas être laissée aux juges et parties, c’est-à-dire aux fédérations.
C’est donner la voix aux supporters, aux joueurs, aux arbitres. Chaque week-end, vous avez quand même des centaines de milliers de joueurs sur les terrains. Il y a un aspect très culturel au football, ce n’est pas que le sport professionnel. Il faut mettre en place un autre modèle de gouvernance, qui permette à tous les acteurs d’intervenir”
Suite aux différentes affaires de corruption, Sepp Blatter a pourtant mis en place un comité d’éthique dit “indépendant” lors de son dernier mandat. Que pensez-vous des mesures prises ces dernières années à la Fifa en matière de gouvernance ?
Le comité d’éthique de la Fifa est une petite avancée mais fait partie du système. Je ne vois absolument pas comment on peut croire que cette commission est légitime. Il fallait faire travailler des juristes extérieurs. Mais le monde du foot ne peut pas se cacher derrière la Fifa. Dans les fédérations européennes, il n’y a pas beaucoup plus de contrôle.
Très généralement, on y met un ancien journaliste, quelques footballeurs connus et deux ou trois personnes liées aux fédérations. Ces commissions d’éthique seraient plus crédibles si elles étaient totalement indépendantes.
Quelles solutions apporteriez-vous pour réformer la Fifa ?
Il faudrait des états généraux, où on mettrait autour de la table les personnes qui gèrent le football actuel, surtout celles qui sont totalement absentes, comme les supporters. Et il y a toute une série de questions très complexes qui doivent être mises à l’agenda : les droits de retransmission, les salaires, les mercatos… C’est l’ensemble des règles qui gouvernent le football qui doivent être remises en cause. Je pense qu’on a intérêt à démocratiser le football, mais démocratiser le football, ce n’est pas faire comme M. Blatter l’a fait – c’est-à-dire créer des fédérations gigantesques et plus nombreuses qu’il y a d’États membres à l’Onu –, c’est donner la voix aux supporters, aux joueurs, aux arbitres. Chaque week-end, vous avez quand même des centaines de milliers de joueurs sur les terrains. Il y a un aspect très culturel au football, ce n’est pas que le sport professionnel. Il faut mettre en place un autre modèle de gouvernance, qui permette à tous les acteurs d’intervenir.
La Fifa est-elle un cas à part dans le monde du sport international ?
Non, je ne pense pas. On le voit ailleurs, dans l’athlétisme ou la Formule 1. Le Comité international olympique (CIO) n’est pas un exemple d’intégrité non plus. Il n’y a pas que le football qui s’est mondialisé et globalisé.
Il y a beaucoup d’argent dans le sport, issu essentiellement des droits de télévision, et ça fait naître beaucoup de tentations. C’est l’ensemble du sport mondial qui est frappé par le même mal. Ce sont des activités économiques et la question est de savoir comment on les contrôle. Donc, il faut se poser les mêmes questions pour le football que pour les banques.