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Les 74 médicaments qu’il vaut mieux éviter

11 février 2016  Par Jérémy Jeantet


Bruno Toussaint est le directeur de la revue Prescrire, qui publie dans son numéro de février une liste de 74 médicaments “à écarter”, car leurs bénéfices sont trop faibles en comparaison de leurs risques. Pour Le Lanceur, il fait le point sur la pharmacovigilance en France et son évolution à la suite du scandale du Mediator.


Infographie de Loïs Richard. Source : revue Prescrire, février 2016. Images de Freepik

 

Le Lanceur : Vous publiez dans votre numéro de février une liste de 74 médicaments à écarter. Quelle a été votre démarche ?

Bruno Toussaint : Nous avons constaté, au vu des connaissances concernant ces médicaments, que les risques sont disproportionnés par rapport aux bénéfices prouvés. Il vaut mieux que personne ne prenne ces médicaments “plus dangereux qu’utiles”, c’est notre position. Certains peuvent ne pas être d’accord avec nous, mais nous préférons mettre en garde clairement les patients.

Si cette balance bénéfices/risques est négative, pourquoi sont-ils encore sur le marché ?

Le principe de la balance bénéfices/risques comporte de la méthode scientifique, mais, au final, le choix est humain. Notre façon de faire à nous est de résumer ce que l’on sait et d’identifier les cas où nous jugeons que c’est disproportionné.
Prenons l’exemple de la dompéridone [Motilium ou autre, NdlR]. C’est un médicament pour diminuer les nausées et les vomissements. Côté efficacité, les résultats ne sont guère meilleurs que ceux d’un placebo. En revanche, de l’autre côté, il y a un risque de mort subite, qui est très rare mais manifeste. Le cœur de certaines personnes peut s’arrêter et le taux de survie est alors de 5 %. On appelle les autorités de santé à retirer ce médicament mais, au final, le choix leur revient.

L’état d’esprit est plus sensible aux patients. Avant, il était de ne pas nuire aux firmes”

Parmi les médicaments que vous identifiez comme “à écarter” depuis 2013, date de votre première liste, 3 ont été retirés en 2015… à l’initiative des firmes pharmaceutiques. Que font les autorités sanitaires ?

Si ces retraits ne sont pas des décisions officielles des autorités sanitaires, elles sont peut-être intervenues en coulisses. Les firmes sont très réticentes au retrait autoritaire d’un médicament. Elles préfèrent mettre en avant qu’elles ont décidé elles-mêmes du retrait de la commercialisation, tourner les choses à leur avantage. Et, bien souvent, les autorités sanitaires acceptent cette situation. Ce serait plus clair si les autorités sanitaires les retiraient du marché, mais le principal, c’est que le médicament ne soit plus en vente.

Bruno Toussaint, directeur de la revue Prescrire AFP / MIGUEL MEDINA

Bruno Toussaint, directeur de la revue Prescrire AFP / MIGUEL MEDINA

Qu’est-ce qui a changé depuis le Mediator ?

Il est devenu acceptable de parler des médicaments pour dire qu’il vaut mieux ne pas les prendre. Si nos listes datent de 2013, on fait ce travail depuis trente-cinq ans. On voyait bien que ça dérangeait beaucoup de gens et il nous paraissait que faire cette liste serait trop choquant.
De nos jours, ce n’est plus extraordinaire. Avant le Mediator, il y avait l’idée générale qu’il ne fallait pas arrêter un médicament, que c’était dangereux. Avec le Mediator, on a vu que, quelquefois, il vaut mieux. C’est beaucoup moins difficile de lancer l’alerte sur les médicaments.

Et au niveau des autorités sanitaires ?

Il y a eu beaucoup de remise en cause, une réorganisation de l’Agence française du médicament, plus de transparence. Et un état d’esprit qui est plus sensible aux patients.
Avant, l’état d’esprit de l’agence du médicament, on le voit dans le rapport de l’Igas sur le Mediator, était de ne pas nuire aux firmes.
Quand il y avait des signaux d’effets indésirables, on commandait d’abord des études pour les confirmer. La précaution n’était pas de mettre les gens à l’abri mais d’abord d’éviter de laisser croire que le médicament était dangereux. Cet état d’esprit a évolué. L’agence est plus sensible à l’intérêt des patients, mais l’agence française n’a pas une grande marge de manœuvre.

Au niveau européen, la réputation du médicament passe avant la protection forte des patients”

Pourquoi ?

Les décisions de l’agence européenne s’imposent à la France et aux autres pays. Or, au niveau européen, Mediator n’a pas eu beaucoup de conséquences et on est encore très sensible à l’intérêt des firmes et à la réputation du médicament, qui passent avant la protection forte des patients. Il y a encore beaucoup de progrès à faire.

Qu’est-ce qui différencie votre analyse de ces médicaments de celles des autorités de pharmacovigilance ?

C’est une question de priorité. Pour nous, il y a un principe important qui est d’abord de ne pas nuire. Nous estimons que le risque est acceptable quand on voit clairement ce qu’on peut espérer. Les médicaments exposent tous à des risques, comme le fait de conduire. Quand on est prudent et vigilant, le risque d’accident est minime, mais c’est différent si on décide de rouler les yeux fermés et pied au plancher.
L’état d’esprit d’une agence de médicament, y compris française avant le Mediator, n’est pas le même. Leur activité principale est de répondre aux demandes des firmes qui réclament des autorisations de mise sur le marché. Nous, c’est la qualité des soins et l’intérêt des patients.

L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et l’Agence nationale de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps) publient aussi une liste de médicaments sous surveillance. Deux médicaments sont présents à la fois sur leurs listes et sur la vôtre : le Protelos et le Procoralan, deux médicaments des laboratoires Servier. Le Protelos fait parler de lui depuis de nombreuses années (voir encadré)…

Ce qui est clair, c’est qu’il vaut mieux ne jamais utiliser ce médicament. Les données montrent vraiment des risques disproportionnés, avec une efficacité nulle ou très proche du placebo sur la prévention des fractures, alors qu’en face il y a des effets indésirables graves.

Le doute ne profite jamais au patient”

Tout le monde semble s’accorder sur sa dangerosité. Pourquoi est-il encore sur le marché ?

L’agence française n’est pas en mesure de le retirer du marché, c’est une autorisation européenne. De plus en plus de précautions sont prises mais on ne va pas au bout du raisonnement.

Le comité européen de pharmacovigilance a prôné sa suspension mais n’a pas été suivi par l’agence européenne du médicament. Est-ce fréquent ?

C’est relativement fréquent. Un comité de pharmacovigilance comme le Prac est sensible aux effets indésirables d’un médicament et fait des recommandations de vigilance. Mais, trop souvent, l’agence européenne n’est pas de cet avis. Après, quasiment toujours, le commissaire européen suit l’avis de l’agence, c’est logique.
Parfois, ce serait bien que le politique dise que ça ne va pas, qu’il prenne l’initiative, parce qu’on peut imaginer que le Prac diminue un jour la fréquence de ses avis très prudents, sachant qu’ils ne sont que rarement suivis.
Pour reprendre l’exemple de la dompéridone, les représentants de la France ont été plus prudents que leurs homologues européens. Ils ont voté contre le maintien du médicament chez les enfants alors que la décision européenne a été favorable à ce maintien. La décision européenne a simplement été de demander une étude pour mesurer son efficacité sur les enfants, alors que ça fait trente ans qu’il est sur le marché et, en attendant les résultats, le médicament en question reste sur le marché. Le doute ne profite jamais au patient.

Que peut faire la France face aux blocages européens ? Jouer sur le remboursement ?

Le remboursement n’est pas du domaine de l’agence du médicament, mais de la commission sur la transparence, qui fait partie de la Haute Autorité de santé. La décision, ensuite, est politique.
Il y a eu l’exemple du médicament pour diabétique, la pioglatizone, commercialisée sous le nom d’Actos. C’est un médicament qui fait baisser le taux de sucre dans le sang, mais il y a des doutes sérieux qu’il augmente les risques cardio-vasculaires. En tout cas, il ne les diminue pas et il augmente clairement les risques de cancer de la vessie. D’autres médicaments ne font pas bien mieux mais ne provoquent pas de cancer de la vessie.
L’agence européenne a décidé de le laisser sur le marché, avec plein de précautions. En France, la commission de la transparence a dit qu’il était trop dangereux. Le ministre de la Santé de l’époque, Xavier Bertrand, a décidé de ne pas le rembourser. En pratique, le médicament est autorisé mais personne ne s’en sert, parce qu’il faut le prendre pendant des années donc cela reviendrait cher. C’est comme ça que les autorités nationales conservent une marge de manœuvre.

 

Le Protelos, successeur du Mediator ?

Depuis le scandale du Mediator, un autre médicament des laboratoires Servier a suscité la controverse, le Protelos. Utilisé pour prévenir le risque de fractures chez les patients atteints d’ostéoporose, des risques de maladies cardio-vasculaires ont rapidement été identifiés.
En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament a recommandé de réserver le médicament aux patients qui ne présentaient pas de risques cardiovasculaires, alors que d’autres, dont la revue Prescrire, préconisaient une suspension pure et simple de la recommandation.
Au niveau européen, le Prac, organe de pharmacovigilance, a également recommandé le retrait du médicament en janvier 2014.
Il n’a pas été suivi par l’Agence européenne du médicament qui, un mois plus tard, demande à la Commission européenne son
maintien sur le marché.
Pour contourner ce blocage européen, la commission de la transparence française, organe de la Haute Autorité de santé, recommande qu’il ne soit plus remboursé, ce qui ne sera le cas qu’en 2015, soit huit ans après qu’il a été placé sous surveillance pour la première fois.









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