Sous l’autorité du cardinal Barbarin, les évêques de Lyon ont décidé de ne pas renouveler la mission de juge à celui qui demande publiquement la démission du cardinal pour ne pas avoir réalisé à temps la gravité de l’affaire Preynat. Le prêtre accepte ce choix, mais “ne retire rien” des propos qu’il a tenus.
Sa liberté de parole sur la gestion par la hiérarchie catholique du prêtre aux 72 victimes lui a coûté sa mission de juge au sein de l’Église. Au matin de la Toussaint, un prêtre est discrètement remercié de ses fonctions de juge ecclésiastique. Pierre Vignon s’occupait depuis 2002 de dossiers de “causes matrimoniales”, qui peuvent permettre aux fidèles la reconnaissance d’un mariage religieux qui ne serait pas valide selon le droit canonique. Mais le père Vignon est surtout devenu depuis quelques mois un fer de lance pour un acte censé marquer un changement profond dans la gestion des cas de prêtres pédophiles : il demande ouvertement que le primat des Gaules, le cardinal Philippe Barbarin, démissionne. “Sur le dossier capital de la pédophilie, il a pris conscience de la gravité de l’affaire bien trop tard par rapport aux soixante-douze victimes déclarées de Bernard Preynat”, déclarait le père Vignon dans un entretien publié dans nos colonnes, rappelant que le cardinal “dit avoir reconnu les faits reprochés à Bernard Preynat en 2014, puis en 2007, puis finalement en 2004”. La prise de position détonne : il est rare qu’un prêtre mette publiquement en cause la plus haute fonction de l’Église en France. Sa lettre ouverte a fait l’objet d’une pétition, signée par plus de 100 000 personnes.
Mais, ce 1er novembre, une tout autre raison est évoquée. Désormais, les juges ecclésiastiques effectuent un mandat de six ans maximum. “Les évêques ont donc remis tout à plat et ont repris les nominations à partir du 1er novembre 2018 pour tout le monde et pour une période déterminée. Ils n’ont pas souhaité t’inclure dans ces nominations. Tu n’es donc plus juge de l’officialité à compter de ce jour. Il ne m’appartient pas de commenter leur décision”, lui a dit le père Nicolas de Boccard, qui dirige le tribunal ecclésiastique de Lyon. Cette remise à plat est censée avoir été décidée par les douze évêques d’Auvergne-Rhône-Alpes. Elle fait finalement grincer des dents à la veille de la conférence des évêques de France, à Lourdes, puisque c’est par voie de presse que de nombreux évêques apprennent la conséquence de la décision pour le père Vignon. D’autant plus que, pour la première fois, des victimes d’actes pédophiles s’exprimeront face à eux à Lourdes.
“Tout-puissant dans son royaume”
L’évêque du Puy-en-Velay, Luc Crépy, affirme au quotidien Libération ne pas avoir été au courant. “Aucun des quatre diocèses d’Auvergne n’a été consulté”, ajoute-t-il. La conséquence sur le prêtre Vignon semble gêner aux entournures celui qui est aujourd’hui responsable de l’action contre la pédophilie dans l’Église de France. “Les évêques de Lyon [sous l’autorité du cardinal Philippe Barbarin, ndrl] ne voulaient pas que Pierre Vignon continue à juger en leur nom alors qu’ils ne sont plus en confiance, confirme au Lanceur une source proche du dossier. L’autorité judiciaire de l’Église est en principe exercée par les évêques. On est juge en leur nom. L’incohérence aurait été d’exercer au nom d’un évêque dont on a demandé publiquement la démission. La confiance réciproque n’est plus sentie.”
Du côté des victimes abusées en camps de scouts dans les années 1980 par Bernard Preynat, la rupture est largement consommée. “C’est énorme de venir parler de confiance après que le diocèse a sciemment et soigneusement couvert pendant plusieurs décennies des actes des plus abjects. Cela fait trente ans qu’ils nous disent qu’ils ont enfin pris la mesure des choses”, déplore François Devaux, le président de l’association La Parole Libérée. “Nous ne reprochons pas à l’Église d’avoir de la pédophilie en son sein, on lui reproche de la couvrir. Et là, ils crucifient un homme qui force les choses sur une thématique que l’Église est incapable de gérer”, ajoute-t-il. “Nous sommes face à quelqu’un qui agit en monarque, en tout-puissant dans son royaume”, considère François Devaux. L’Avref et La Parole Libérée ont, en réaction, rédigé une nouvelle pétition pour demander la réintégration du père Vignon.
Forcé de s’exprimer au sujet de cette éviction ce samedi matin à Lourdes, le cardinal Barbarin aurait “reconnu que c’était une “erreur” de sanctionner Vignon juste avant l’assemblée plénière”, écrit Libération. Pour autant, sur le fond, la décision n’a pas été remise en cause publiquement. “Pierre Vignon est prêtre, il fait du bien dans son rôle d’accompagnement des victimes et personne ne l’empêche de continuer à le faire”, nuance un ecclésiastique. De son côté, Pierre Vignon dénonce dans un communiqué une décision “arbitraire”, les lois dans l’Église n’étant pas rétroactives. “J’accepte la décision, mais je la regrette. Et je ne retire rien de ce que j’ai dit”, nous a confié le prêtre.
Le 7 janvier, le cardinal Barbarin est convoqué au tribunal correctionnel avec sept autres membres du clergé pour “non-dénonciation de crime” après la prononciation d’un classement sans suite par le tribunal de grande instance de Lyon en 2016. Il est le troisième évêque jugé pour non-dénonciation, après la condamnation de Pierre Pican en 2001 à trois mois de prison avec sursis et, plus récemment, le procès de l’ancien évêque André Fort. Ce dernier, jugé à Orléans deux jours avant l’éviction du père Vignon, risque un an de prison ferme. Requise par le procureur, cette peine aurait vocation à susciter un “électrochoc dans la hiérarchie catholique”, selon les mots du magistrat, Nicolas Bessone.