Le Lanceur s’est rendu à Chambéry pour évoquer avec Daniel Ibanez les relations entre journalistes et lanceurs d’alerte. Au cœur des échanges, la course à l’information et l’essentielle responsabilité dans le lancement de l’alerte.
Pouvoir amplifier les constats dramatiques au sein de la société. En guise d’introduction à la soirée, le référent Anticor de Savoie, Jean-François Roussel, décrit l’un des rôles de la presse : “Les lanceurs d’alerte commencent souvent dans leur coin. Mais ils veulent partager leurs informations avec leurs proches et le reste de la société en fonction de la gravité du problème qu’ils soulèvent.” Les réactions qu’ils obtiennent ne sont cependant pas toujours celles qu’ils espéraient. “Le silence est le pire ennemi des lanceurs d’alerte”, considère quant à lui Daniel Ibanez. “Pour travailler efficacement, il faut comprendre ce que j’identifie comme un problème économique, poursuit-il. Le manque de ressources de médias alternatifs se traduit par la recherche d’une information exclusive pour favoriser la vente et mettre en avant le titre. Cette course à l’information et l’équilibre économique souvent précaire impactent le traitement éditorial du fond du dossier.”
Réfléchir à une agence de presse alternative serait intéressant, estime Daniel Ibanez. “Pour les lanceurs d’alerte et les militants, c’est la course à l’AFP pour que l’information soit reprise à grande échelle et ait une diffusion supérieure, dit-il. Aujourd’hui, il y a une nécessité de complémentarité des médias et des ressources face à la dictature de la synthèse. Je pense qu’une réflexion est nécessaire sur la mutualisation des moyens pour que plusieurs médias travaillent sur le même dossier.” “L’enquête, c’est aussi la culture du risque, répond Raphaël Ruffier-Fossoul, le rédacteur en chef du Lanceur. Et le principe de l’agence de presse est aussi la possibilité de reprendre des informations sans risque de procès, ce qui peut être difficile à mettre en place sur de l’investigation.”
Peut-on être citoyen si on exerce un droit sans responsabilité ?”
Pour Daniel Ibanez, impossible d’évoquer la relation avec la presse sans se demander ce qu’est le lancement d’une alerte. Un débat qui n’aurait pas suffisamment émergé au moment de la discussion de la loi française votée pour protéger les lanceurs d’alerte. “La loi dit que le lanceur d’alerte doit être de bonne foi, mais est-ce que lorsqu’une personne est intéressée, le problème qui impacte l’intérêt général change ? Non, commence Daniel Ibanez. La libre communication est un droit fondamental, mais il ne peut exister sans responsabilité, ce qu’ignore complètement la loi Sapin II.” La nécessité de confier l’alerte à un référent et de ne pouvoir la publier est selon lui contraire à la pratique de la citoyenneté et glisse vers la déresponsabilisation.
“Tout est monté dans cette loi pour dire que le lanceur d’alerte est un risque pour la société. Le lanceur d’alerte n’est pas responsable de décider si l’information a une valeur pour l’intérêt général. Mais il n’y a pas de citoyenneté sans responsabilité et informer suppose obligatoirement la responsabilité de la personne. Peut-on être citoyen si on exerce un droit sans responsabilité ? La vraie protection repose dans l’exercice le plus large possible du droit de publier des informations, et malheureusement la loi met un cadre très rigide autour des informations d’intérêt général et une protection accrue de l’intérêt particulier avec le secret des affaires”, regrette-t-il.
On n’a pas de démocratie parce qu’on se tait”
Dans la salle, plusieurs membres du public reconnaissent avoir du mal à faire émerger certains dysfonctionnements, en particulier lorsqu’ils surviennent dans des communes rurales. Un élu d’une commune ainsi qu’un membre de l’association Anticor regrettent que, bien qu’ils se soient tournés vers des associations, la presse locale ou le préfet, les abus de pouvoir ou prise illégale d’intérêts auxquels ils ont été confrontés soient restés confidentiels. “Je pense qu’il faut lancer des alertes pour que les autres osent le faire”, témoigne celui qui a rejoint l’association de lutte contre la corruption Anticor.
En face de lui, un autre participant à la rencontre abonde dans le sens décrit un peu plus tôt par Daniel Ibanez : “On n’a pas de démocratie parce qu’on se tait. Pour les mineurs isolés, tous les textes de loi sont clairs : un enfant ne dort pas dans la rue. Quand les citoyens se saisissent de ces questions, les pouvoirs publics doivent agir et les mettre à l’abri. La loi ne sert à rien tant que les citoyens ne se mobilisent pas.” “La démocratie, c’est des efforts”, ajoute Daniel Ibanez. “Et s’il y a une caractéristique dans le lancement de l’alerte, c’est l’engagement sans faille de ceux qui les portent”, conclut le fondateur du salon “Des livres et l’alerte” à Paris, qui réunit chaque année depuis quatre ans une centaine de personnalités liées à l’alerte.